
Bayrem est un enfant issu d’une famille o͹ la politique et l’art avaient une grande place. Ce jeune homme connu pour son franc-parler et sa musique entraÍ®nante et engagée s’est fait plusieurs fois taper sur les doigts, arrêté et emprisonné, mais son enthousiasme et son envie de liberté ont eu raison de tous ceux qui voulaient le faire taire…
Dans cette interview qu’il a accordée Í Jet Set Magazine, il se confie, nous parle de ses projets, de sa vision de la musique mais aussi de la vie…Jet Set : Comment a commencé votre histoire avec la chanson ?
Depuis petit, j’improvisais des chansons, j’écrivais des paroles pour titiller mes profs, ma famille, mes amis, les filles… j’ironisais sur tout et c’est avec cet esprit d’improvisation que j’ai grandi.
Jet Set : Comment avez-vous appris Í jouer de la guitare ?
J’ai volé ma première guitare Í l’age de 14 ans puis j’ai aussi volé le livre qui enseignait comment on en jouait et les CD de jazz avec lesquels j’ai appris. J’ai volé un collier chez une amie de la famille que j’ai revendu pour acheter le lecteur de CD.
Jet Set : Racontez-nous comment vous en avez fait une passion puis un métier.
J’ai appris Í jouer Í la guitare, au luth et Í la musique assistée par ordinateur presque en même temps, puis j’ai commencé Í écrire pour des génériques de documentaires Í la télé. Par la suite, je suis parti étudier Í l’étranger, je faisais partie de l’équipe nationale de karaté puis je suis allé en France étudier la boxe française et décrocher mon master. Et c’est en France que j’ai commencé réellement Í professionnaliser ma passion pour la chanson. J’ai étudié Í l’école du jazz Í Strasbourg puis j’ai pris des cours d’arrangement. J’ai commencé petit Í petit Í mettre mes chansons sur le net. Au début, c’était un passe-temps, puis c’est devenu une vraie passion.
Jet Set : Il y a toujours eu de la politique dans vos chansons ?
Je ne parle pas uniquement de politique, j’aime bien aborder les sujets qui fachent, les tabous… Je dis toujours : « Je dérange donc je suis ! » La politique n’est pas et n’a jamais vraiment été mon sujet de prédilection, c’est juste un sujet sensible. S’il n’y avait pas de dictature en Tunisie, j’imagine que j’aurais pu parler d’autre chose…
Jet Set : Mais beaucoup de vos chansons sont engagées.
Je dirais plutÍ´t dégagées (sourire), je ne suis pas quelqu’un de réellement engagé, je dis juste ce que je pense ! Je ne me considère pas comme un porte-parole, il y en a qui aiment et d’autres non, je parle de tous les sujets.
Jet Set : Parlez-nous de Bendirman et de son Bendirland, la BD qui a eu beaucoup de succès en Tunisie et ailleurs.
Bendirman est un personnage de BD qui exprime aussi ce que je pense mais d’une autre manière, j’ai d’ailleurs fait une suite o͹ Bendirman se fait des amis comme Bortman et Musulman… C’est une série qui va sortir bientÍ´t, juste après mon nouvel album. Ce sera plutÍ´t pour l’année prochaine.
Jet Set : Comment vos parents ont-ils pris le fait que vous vous lanciez dans la musique ?
Ma mère est décédée et mon père était en prison, j’ai presque toujours vécu et pris mes décisions seul.
Jet Set : Parlez-nous de votre nouvel album qui sortira en septembre.
Je viens de signer avec une manager française, Michelle Lana alias « la gazelle », c’est notamment la manager de Youssou N’Dour. J’ai également signé avec un label français Because Music qui est une maison de disque très réputée et qui produit Keziah Jones, Massive Attak, Air, Manu Chao… Ils vont m’envoyer l’arrangeur Thierry Planel qui a travaillé avec beaucoup d’artistes. Ce sera mon premier album avec des chansons en français, le but étant d’exporter notre musique Í l’étranger.
Jet Set : Combien de chansons contiendra votre album ?
12 chansons, dont certaines que j’ai déjÍ interprétées en live comme « Ya Bent Ennas », « Free Imed », « Habiba » et « Redayef ». Le reste, ce sont de nouvelles chansons.
Jet Set : Parlez-nous des nouveaux titres, des chansons en français.
La francophonie existe depuis une centaine d’années dans l’histoire de notre pays, on a tous étudié en français, j’estime que c’est une langue qui fait partie de notre culture. Ajoutez Í ça le plaisir de pouvoir « titiller » les Français dans leur langue… Il y a une chanson qui parle d’un terroriste Í Paris prêt Í se faire exploser en plein métro, il y a aussi la chanson « Roméo et Jalila » qui parle d’un étranger désireux d’avoir ses papiers en Tunisie, il y a aussi un autre titre qui parle du racisme et des idées reçues…
Jet Set : A part l’album, avez-vous d’autres projets ?
Il y a une chanson qui sortira cette semaine hors album. Elle s’intitule « Boulitique » et j’y parle de tout. Elle est assez dure et je pense qu’elle ne va pas m’apporter que des applaudissements…
Jet Set : Vous pensez qu’elle va faire du bruit ?
En parlant de cette chanson, j’ai parié avec mes potes qu’elle ne passerait jamais Í la radio car je pense qu’il faut encore beaucoup de travail afin d’enlever les vieux réflexes. Sinon, je suis en train d’enregistrer un duo avec Si Lemhaf, une chanson qui s’intitule « Free ». Elle ne parle pas du tout de politique, c’est plutÍ´t un message d’apaisement. J’ai aussi un duo avec Baaziz qui passera plutÍ´t Í la télé. De cette manière, j’ai plusieurs produits pour les différents médias.
Jet Set : Vous vous considérez comme un opposant ?
Je ne suis pas un opposant car je ne présente aucune alternative, ce n’est pas mon rÍ´le. Je suis ce qu’on pourrait appeler un iconoclaste, je défends mon droit de parler, je détruis les moules…
Jet Set : Parlez-nous de vos actions, de l’association que vous avez créée.
On a créé une fondation parrainée par Anouar Braham, Youssou N’Dour, Peter Gabriel… elle s’appelle « El Msanaa », l’usine. C’est en quelque sorte une usine Í créer des tubes et des emplois pour les artistes. On a déposé et on attend les subventions, je compte rencontrer le ministre de la Culture pour lui proposer ce projet. La culture n’appartient pas aux gouvernements, elle appartient au pays ! D’ailleurs, depuis le temps de Ben Ali, j’ai toujours refusé de donner des interviews Í l’étranger, je n’ai jamais mal parlé de mon pays en dehors de Tunisie. Il faut d’ailleurs rendre Í César ce qu’il lui appartient : Ben Ali respectait cette manière de faire et chaque fois qu’on m’a arrêté, on me disait qu’ils avaient l’ordre de ne pas me frapper grace Í ça.
Jet Set : Vous allez voir les quartiers démunis, chanter pour ceux qui ont réellement des problèmes ?
Je n’ai fait que deux concerts Í Tunis, pour le reste, c’est Í l’étranger et dans d’autres villes de Tunisie que je me produis. Mais il est vrai que j’ai moins de dates sur le territoire tunisien car je suis amené Í partir assez souvent. Mais je suis très actif dans l’associatif, j’ai fait Esmaani, j’ai participé Í des actions avec Machrek Echams, le Croissant-Rouge, les blessés de la révolution… Tout ça Í titre caritatif. Et j’ai bien sÍ»r des concerts o͹ je me fais payer car il faut bien que je mange !
Jet Set : Sur scène vous faites toujours la petite blague avant les chansons, est-ce que c’est improvisé ou préparé ?
Il est vrai que les transitions sont préparées, elles parlent toujours de la chanson Í venir, mais il y a aussi beaucoup d’improvisation, parfois ça marche, parfois non…
Jet Set : On a vu sur la scène de Jazz Í Carthage que vous avez un spectacle assez élaboré, avec plusieurs musiciens et plusieurs sortes d’instruments. Vos prochaines scènes seront comme ça ou est-ce qu’on va revoir Bendirman en solo avec sa guitare ?
Non, ça sera comme ça et même plus. On est en train de préparer la saison estivale avec Si Lemhaf et une boÍ®te de production et ça va être beaucoup plus grand. Je pense qu’il faut réellement élever le niveau du show en Tunisie. D’ailleurs cette année, on réalisera la première Summer tours, avec une grande scène, des écrans, des lumières et surtout un son et un show de qualité. Je suis en train de préparer une grande date avec Manu Chao, il y a aussi l’album Enti Essout qui sortira dans les bacs en septembre 2012 et qui sera produit par moi et d’autres artistes.
Jet Set : Comment vous écrivez vos chansons ?
Vous allez rire mais c’est aux toilettes que je le fais, car je trouve que le son est excellent. Je n’ai jamais écrit en dehors des toilettes (rire). Nous avons aussi un projet avec plusieurs artistes, on s’aide, on arrange la musique ou les paroles de l’autre et on paraÍ®t aussi dans les clips dont vous allez voir les teasers publiés petit Í petit sur les réseaux sociaux. Il y aura Si Lemhaf, Lotfi El Abdelli, Jaafer El Gasmi, Atef Ben Hassin…
Jet Set : Vous dites toujours que « l’amour est un état d’imbécillité provisoire », vous ne trouvez pas que c’est triste ?
Je trouve que la flamme ou l’intensité et la passion de l’amour ne durent pas longtemps, et on finit par vouloir revivre ces moments qui ne reviendront plus, ça se transforme peut-être mais ces moments ne reviennent pas ! Je n’ai pas de chance avec les filles, je me fais assez souvent larguer… Je les pousse un peu, aussi (rire). Il y a aussi les interventions familiales, notamment les parents de la fille qui pensent que je suis quelqu’un de pas sérieux, un peu trop dans la rue… J’ai aussi des amis qui ont vécu la même chose, la plupart s’aiment mais se marient avec d’autres ! Je trouve que ma vision de l’amour est plutÍ´t réaliste.Jet Set : Parlons un peu de la révolution, qu’en pensez-vous ?
C’est une fausse-couche. DéjÍ , le mot révolution c’est trop dire par rapport ce qui s’est passé, mais il est aussi agréable de pouvoir se moquer du Président de la République dans une pub ou autre, c’est quand même une bonne chose même si le danger existe : il menace la liberté d’expression, les médias… Mais je pense aussi que la Tunisie est le pays de toutes les possibilités, le Tunisian Dream. Il y a énormément de choses Í faire, déjÍ sur le milieu culturel o͹ subsiste un vide inouͯ. Il faut instaurer le très grand évènementiel, faire des festivals dignes de ce nom, il faut imposer un pourcentage de chansons tunisiennes Í la radio…
Jet Set : D’après vous pourquoi la chanson tunisienne est-elle boudée par les radios ?
C’est un cercle vicieux, les artistes ne font pas de produits de qualité car leur travail ne rapportera rien s’il n’est pas diffusé et les radios pensent qu’elles ne peuvent pas passer de produits médiocres. Mais si ça devient une loi, les possibilités seront quintuplées et les artistes auront des espaces pour se produire. Les médias privés comme Mosaͯque ou Ettounsya sont présents pour les artistes, ils ne refusent pas de diffuser, mais les autres restent réticents.
Jet Set : Vous pensez que la censure reviendra ?
Il y a des choses que la censure ne peut pas atteindre car il y a ce formidable outil qu’est internet, je ne pense pas qu’on puisse revenir en arrière. Un sociologue américain qui a vécu 7 ans en Tunisie a dit en rentrant : « Venez voir un pays o͹ aucune règle de sociologie ne s’applique. » C’est ça, la Tunisie, elle est spéciale.
Jet Set : Vous ne trouvez pas que trop d’information tue l’information ?
Oui, Í cause de l’intox et de la manipulation et surtout sur Facebook, c’est un outil qui peut énormément servir comme il peut devenir extrêmement dangereux. Le problème, c’est l’inaptitude du gouvernement Í appliquer les lois, comme l’exemple de l’incitation au meurtre ou Í la violence. Les instigateurs devraient répondre de leurs actes devant la loi, ils doivent impérativement être mis hors d’état de nuire.
Jet Set : Que pensez-vous de cette vague d’islamisme qui envahit le pays ?
Le danger du fascisme existe mais il ne faut pas non plus se sous-estimer, il y a deux pÍ´les qui coexistent comme aux Etats-Unis avec les progressistes et les conservateurs. Après, que le meilleur gagne, c’est ça aussi la démocratie. Il faut travailler, occuper le terrain, proposer des projets de société… C’est un devoir citoyen de se battre pour ses idées et ses libertés. L’extrémisme disparaÍ®tra quand la précarité, la pauvreté et le chÍ´mage disparaÍ®tront, et c’est le devoir de chacun de relever son pays.Jet Set : Il y a beaucoup d’artistes tunisiens qui partent Í l’étranger pour revenir en star en Tunisie, est-ce votre cas ?
Je suis assez connu en Tunisie, mais aller Í l’étranger me permet d’exporter la musique tunisienne, et c’est ça le but. Lors de mes spectacles Í l’étranger, le public est très varié, on trouve des Marocains, des Algériens, des Tunisiens, des Canadiens, des Français… Je trouve qu’il est primordial de faire connaÍ®tre l’art tunisien et la chanson tunisienne Í l’étranger. Je vais faire l’ouverture du Louvre, les Transmusicales de Rennes, le Printemps de Bourges, les Francopholies de La Rochelle… Ce sera énorme de jouer de la darbouka tunisienne, de les faire danser, de leur faire découvrir l’art de la chanson tunisienne. On va même afficher des traductions en 3D pour tout ce qui est texte afin que le spectateur n’en rate pas une miette.
Jet Set : Que pensez-vous de la jet-set tunisienne ?
Ce sont plutÍ´t des jet-sixeurs : ce sont des gens dépensiers qui ne pensent pas Í leur prochain. Et puis je ne pense pas qu’il y ait de vrais jet-setters en Tunisie, car on n’a pas les infrastructures nécessaires pour qu’ils viennent chez nous : ni ports de plaisance, ni hÍ´tels dignes de ce nom, ni un service qui se respecte…
La vidéo de l'interview sera en ligne très prochainement.

Le bonheur parfait selon vous ?
Il n’existe pas !
O͹ et Í quel moment vous êtes-vous senti le plus heureux ?
A chaque grande scène : au Théatre municipal, Í Bizerte, Í Jazz Í Carthage, Í Paris ou Montréal… Les scènes o͹ je considère avoir bien pressé le citron dans les yeux des médisants.
Le principal trait de votre caractère ?
La générosité.
Celui dont vous êtes le moins fière?
Je suis borné : « non, c’est non ! »
La qualité que vous préférez chez un homme ?
Qu’il soit sincère et sans masque.
La qualité que vous préférez chez une femme ?
La finesse et la classe dans le comportement.
Quelle est votre plus grande peur ?
Je n’ai pas peur, je suis quelqu’un de téméraire.
Qu’est-ce qui vous exaspère chez les autres ?
La lacheté et l’hypocrisie.
Qu’appréciez-vous chez vos amis ?
Ils sont vrais et me disent la vérité.
Quel est le comble de la misère ?
J’ai un copain qui s’est fait braquer et il n’avait que 5 millimes.
Quel est le comble de la bêtise ?
Notre ministre des Affaires étrangères l’a bien dit : Istanbul est la capitale de la Turquie.
Si vous étiez un sens ?
Le toucher
Si vous étiez une saison ?
Le « shtif » (rire). Nous avons en Tunisie cette saison qui en contient 4 Í la fois.
Si vous étiez un pays ?
Le Burundi.
Si vous étiez un lieu de vacances ?
Borj Sedria (rire).
Si vous étiez un moyen de transport ?
Le bus n°74 qui emmène vers El Mourouj : il passe de nuit par les quartiers les plus dangereux.
Si vous étiez une soirée idéale ?
J’ai un ami qui rêvait d’une soirée en bord de mer avec un dÍ®ner aux chandelles en compagnie de son amoureuse, et un ami lui a dit : « Comment veux-tu que les bougies restent allumées en bord de mer ? » Il lui a cassé son rêve en deux secondes…
Si vous étiez un animal ?
Une souris.
Si vous étiez une odeur :
Nuit de l’homme d’Yves Saint-Laurent
Si vous étiez un bruit :
Un orgasme.
Si vous étiez une couleur ?
Le bleu.
Si vous étiez la pièce d'une maison ?
Les toilettes.
Si vous étiez un plat ?
Nouasser au poulet.
Si vous étiez une partie du corps ?
La paume de la main.
Si vous étiez une danse ?
La pachata.
Si vous étiez un instrument de musique ?
Le mezoued.
Si vous étiez une époque ?
La Tunisie et l’Egypte dans les années 50.
Si vous étiez un livre ?
L’amour au temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez.
Si vous étiez un mot :
Akhtouna !!
Si vous étiez un coup de gueule :
Yakhtouna aad !!!
Si vous étiez un film ?
La vie est un miracle d’Emir Kusturica.
Si vous étiez un péché ?
L’adultère.
Si vous étiez un juron :
Khazouk ala henakek.
Quel défaut doit avoir une femme pour vous plaire ?
Etre têtue et forte de caractère, comme moi.
Êtes-vous marié ?
Non.
Comment vous voyez-vous dans 20 ans ?
Propriétaire d’une boutique de mlaoui aux Bahamas.