
Elton John arrive, très nonchalant, entouré de ses deux gardes du corps qui me font penser Í des jumeaux. Je lui dis bonjour, il me demande d’o͹ je suis. Dès que je prononce le mot Tunisie, il me dit : « Bravo, vous avez réussi Í vous débarrasser du dictateur. Vous avez donné un bel exemple au monde entier ». Quand je pense que je cherche Í chaque fois un moyen de briser la glace. Il semble, Í présent, que l’odeur des jasmins Í elle seule transforme l’atmosphère.
Elton John est venu faire la promotion d’un dessin animé qu’il produit : Gnoméo et Juliette. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une adaptation en cartoon de la pièce de William Shakespeare dans un monde en guerre contre les gnomes, qu’on appelle aussi les nains de jardin. Même si le réalisateur de ce film, Kelly Asbury, est américain, l’ambiance est très British et se moque parfois de ce flegme purement britannique. Le cÍ´té unique de ce film, c'est sa musique, inspirée des chansons d’Elton John. On retrouve ses plus grands tubes, réarrangés pour l’occasion. Car Elton John a tout supervisé du début jusqu’Í la fin. C’est son film, et aujourd’hui, pour Jet Set Magazine, il a décidé de se confier.
Ramzy : Dans ce film, on retrouve plusieurs de tes grands classiques. Est-ce que tu essayes, Í travers ce dessin animé, d’attirer un nouveau public, une nouvelle génération de fans ?
Elton John : Peut-être… c’est en tout cas l’idée de Dick Cook, qui dirigeait les studios Disney et qui avait donné son feu vert pour ce film il y a 11 ans. Il a fallu 11 ans de ma vie pour mener Í terme ce projet. Mais dès le départ, Dick Cook voulait piocher dans mon catalogue. Au départ, je voulais écrire de nouvelles chansons avec mon parolier de toujours, Bernie Taupin, mais Dick a insisté. Jamais je n’aurais laissé un film utiliser mon répertoire, Í l’exception d’une ou deux chansons. Mais ce film, c’est mon bébé. Je voulais que cela soit fait de la manière la plus agréable, et c’est pour cela que cela a pris du temps. J’ai eu de la chance d’avoir James Newton Howard pour la musique originale. Il a été un de mes musiciens, et il connaÍ®t bien ma musique. Il est venu Í Londres, et on a travaillé sur de nouveaux arrangements sur certains de mes classiques. Et puis, il y a des chansons inédites et une version de « Crocodile Rock » en duo avec Nelly Furtado.
Ramzy : Ton répertoire est tellement large qu’il a fallu faire des choix. Comment avez-vous procédé ? Vous êtes parti du scénario ?
Elton John : Absolument. Par exemple, « Saturday Night’s All Right » était parfaite pour la scène dans laquelle les gnomes font la course avec des tondeuses Í gazon. On a un personnage dans le film qui s’appelle Benny. Et lorsqu’il fait une petite danse sur un ordinateur, la chanson « Benny And The Jets » s’imposait. Il y a aussi « Your Song ». On était plusieurs Í choisir : le réalisateur, Kelly Asbury, le compositeur James Newton Howard, et moi-même. Cela a pris beaucoup de temps et il a fallu éliminer certaines chansons. Mais d’autres sont venues naturellement, comme « Sorry Seems To Be The Hardest Word ». Le couple se sépare et tout d’un coup, les paroles prennent une énorme importance. « It’s sad… so sad… ». On a donc beaucoup écouté les paroles, et même si parfois il n’y a que la musique, ces chansons étaient appropriées.
Ramzy : Tu pensais un jour faire des chansons pour un film avec des gnomes ?
Elton John : Non, jamais. Tu sais, un des moments les plus marrants dans ma carrière, c’est lorsque Tim Rice (auteur Í succès Í Broadway, N.D.L.R) m’a donné les premières paroles pour le film « Le Roi Lion ». La chanson commençait par « when I was a young warthog » (quand j’étais un bébé phacochère, N.D.L.R.). Je me suis dit : « Mon Dieu, qu’est-ce que je suis en train de faire ? Ecrire une chanson sur les phacochères ? » (rires…). Mais tu sais bien que les gnomes, les nains de jardin, sont très populaires en Europe. Beaucoup plus qu’aux USA. Mais Í travers certaines pubs Í la télé, notamment pour les agences de voyages, les nains de jardin sont devenus tendance. Quand je pense que l’ancien patron de Disney était « gnomophobe ». Il n’y comprenait rien, Michael Eisner. Il fallait juste lui expliquer que c’est un peu mieux que les Schtroumpfs ! (rires…). Mais il faut dire que j’ai 60 ans, mais 40 ans dans la tête (rires…).
Ramzy : Je me demande toujours o͹ les artistes vont chercher leur inspiration. Comment est-ce que tu crées ?
Elton John :Je ne crée rien du tout tant que je n’ai pas un projet en face des yeux. Autrement dit, des paroles. J’ai toujours travaillé ainsi avec Bernie Taupin. Il m’envoie une histoire et je lis cette histoire comme un enfant. J’ai grandi Í une époque o͹ la télévision n’existait pas. Nous n’avions que la radio et les livres. C’est ainsi que je faisais travailler mon imagination. Dickens était fascinant Í lire et Í écouter. Je n’écris la musique qu’en face de textes déjÍ écrits. Mais je n’écris pas tous les jours. Je suis pianiste et je ne trimbale pas un piano avec moi (rires…). D’ailleurs, je n’écris que lorsque je suis inspiré. Mais j’ai toujours été inspiré. Je ne sais pas vraiment comment cela fonctionne, mais que dès que je reçois des paroles de Bernie Taupin, Lee Hall ou Tim Rice, cela m’inspire immédiatement.
Ramzy : Tu ne te lèves donc pas au milieu de la nuit pour écrire…
Elton John : J’aurais bien aimé, mais ce n’est pas le cas. (rires…) La seule chose qui me réveille en ce moment, c’est mon bébé qui pleure. Peut-être qu’il va m’inspirer un de ces jours, mais pour l’instant, je ne me balade pas avec des mélodies dans la tête.
Ramzy : Tu viens d’acheter une maison Í Nice, et tu possèdes plusieurs maisons dans le monde. Quel est l’endroit que tu considères comme « chez toi » ?
Elton John : D’abord, j’ai choisi Nice car j’y vais tous les étés et je descends au Grand HÍ´tel du Cap Ferrat. J’adore cette région. J’adore la France, j’adore l’Italie. J’avais fait un documentaire en 1997 intitulé « Tantrums and Tiaras » sur une de mes tournées mondiales. On me voit dans une scène sortir d’un court de tennis en criant : « Je ne mettrai plus jamais les pieds dans le sud de la France ». Et puis, l’année suivante, j’ai acheté une maison Í Nice. C’est tout prêt de l’aéroport. La maison est magnifique. Ce sera pratique car je vais donner 3 concerts en France en 2 semaines. Je partirai donc Í chaque fois de ma maison Í Nice. Je jouerai Í Dijon, puis je rentrerai sur Nice. Idem lorsque je jouerai Í Lille. Je reviens dormir dans ma chambre et dans mon lit. Je fais la même chose lorsque je suis Í Londres. Les seuls endroits o͹ je dors Í l’hÍ´tel sont New York, l’Australie, l’Asie ou l’Afrique. Partout ailleurs, j’ai eu la chance et le privilège d’avoir pu m’acheter une maison.
Ramzy : Que penses-tu de l’industrie du disque en ce moment ? Les ventes de CD ne cessent de chuter. Tu vois une solution Í ce phénomène ?
Elton John : Il y a pourtant énormément de nouveaux talents qui émergent. J’ai regardé les chiffres de ces deux dernières semaines. Ils n’ont jamais été aussi bas. L’album le plus vendu cette semaine a écoulé uniquement 44.000 copies. On n’a jamais vu cela. C’est vrai que c’est dramatique, mais d’un autre cÍ´té, c’est au niveau des concerts que cela fonctionne. Beaucoup de groupes marchent bien en « live » et cela se traduit par des ventes d’album. Cela veut dire aussi que ces groupes sont très bons en concert et que c’est leur performance sur scène qui incite le public Í acheter l’album. Ce qu’on remarque aussi, c’est une vente constante et progressive. C’est pour cette raison que j’ai créé mon propre label. Je représente de jeunes artistes qui ne sont pas impatients, et qui savent se produire sur scène. Il faut du temps. Il ne faut pas sortir un album juste pour le mettre en vente. Il faut partir en tournée, accepter de jouer en face de 3 personnes, ou 100. C’est cela qui va forger la personnalité et la force d’un artiste. Je me souviens des débuts de James Blunt, qui a signé avec nous. Il a joué en Allemagne devant 20 personnes. Mais c’est cela qui lui a permis de devenir la star qu’il est. Je ne suis pas très fan des émissions de télé-réalité musicales. C’est du divertissement mais elles ne préparent pas l’artiste Í une carrière. A chaque saison son artiste. CÍ´té talents, il n’y a pas de profondeur, comme c’était le cas lorsque j’ai commencé dans les années 60 et 70. Mais encore une fois, certains artistes sortent du lot aujourd’hui. Lady Gaga est l’exemple parfait. Les deux premières années, elle a investi tout son argent sur ses tournées. Elle a commencé avec des miniconcerts. Aujourd’hui, c’est une superproduction et ça paye.
Ramzy : Il y a aussi les librairies qui ferment. Tout s’achète sur internet.
Elton John : Et cela me brise le cœur car je suis contre les nouvelles technologies. Je n’ai pas de téléphone portable. Je n’ai ni ordinateur, ni iPod, ni iPad. Je sais que cela va être un énorme problème pour moi bientÍ´t (rires…). Je vais devoir acheter un Ipad. La deuxième génération sort en avril avec une caméra intégrée et Skype. Il va falloir que j’en achète un car je veux voir mon fils quand je ne suis pas Í la maison. Donc, il faudra que je découvre le monde de la technologie (rires…).
Ramzy : Pour en revenir Í Lady Gaga. Avant son existence, dès qu’il fallait parler de mode extravagante et de présence sur scène, on pensait aussitÍ´t Í Elton John. Tu as toujours une relation particulière avec la mode ?
Elton John : Tu sais, depuis mes débuts, j’ai toujours été assis devant un piano. Je n’étais pas Mick Jagger, Rod Stewart ou Freddy. J’étais coincé devant un grand morceau de bois. Mais la mode me fascinait. J’ai commencé Í m’habiller chez « Mr. Freedom » (boutique vintage sur Carnaby Street Í Londres, N.D.L.R.). Puis, j’ai fait la connaissance de Bill Whitton, un tailleur Í Los Angeles qui m’a dessiné des costumes extravagants. Il fallait que je fasse impression car j’étais statique sur scène. Il fallait créer une zone de confort autour de moi, et il fallait que ce soit complètement fou pour les autres. C’est tout un art. C’est se transformer comme un acteur pour la scène. Si j’avais choisi d’être en jeans et en t-shirt, cela m’aurait paru faux. Je suis un grand amateur de fringue. Gianni Versace m’a dessiné des vêtements que je porte toujours sur scène, puis Yoji Yamamoto. Quant Í Lady Gaga, je dirais que c’est la fille cachée d’Elton John. Elle est venue chez moi Í la maison. On s’est beaucoup amusé, elle a participé Í ma soirée de charité pour la lutte contre le SIDA. Quand elle est arrivée devant ma porte, elle était tellement grande qu’elle ne pouvait pas entrer. Tout le monde s’est moqué de la robe en forme de cygne que portait Bjork aux Oscars, mais des années plus tard, tout le monde en parle encore. On a tous besoin de gens excentriques. Lady Gaga mais aussi Helena Bonham Carter font partie de cette catégorie. Je les adore.
Propos recueillis par Ramzy Malouki