
La danse peut-elle faire rire ? C’est la question Í laquelle on aura Í répondre au bout d’un marathon de spectacles aussi divers que pertinents proposé par les Rencontres chorégraphiques de Carthage.
Et c’est pour cette raison que vendredi dernier, au salon du Théatre de la ville de Tunis, Sihem Belkhodja et son association Ness el Fen ont convié la presse nationale Í la conférence de la 10e édition des Rencontres chorégraphiques de Carthage, pour présenter le programme et la thématique de cette nouvelle édition. Cette dernière marquera un nouveau tournant pour cette manifestation unique en son genre sous nos cieux et qui nous a habitués Í une réelle rigueur de programmation et Í la grande qualité des compagnies et artistes qui y participent.
Donc, du 1er au 8 mai, la danse tentera de nous faire rire, c’est ainsi que Sihem Belkhodja et ses collaborateurs ont conçu cette session placée sous le signe de la comédie. Après avoir tenté de questionner la danse par rapport Í ses origines en 2007, par rapport aux nouvelles technologies en 2009 et accueilli la plateforme de la danse africaine en 2008, le public et les professionnels auront cette année Í se poser la question suivante : la danse peut-elle faire rire ?
Il faut dire que la stratégie de ces Rencontres printanières de la danse qui réunissent danseurs et chorégraphes tunisiens et sommités de la danse contemporaine dans le monde est de mettre Í l’avant un aspect souvent didactique que Ness el Fen adopte depuis la première édition. La gratuité de l’accès aux différents spectacles dans les différents espaces de représentation révèle d’une bonne intention, celle de faire partager au public un art qui a longtemps été considéré comme élitiste, hermétique et inaccessible au commun des mortels.
Les Rencontres chorégraphiques de Carthage ont tenté Í travers les différentes éditions et thématiques proposées de populariser la danse contemporaine en proposant des spectacles de grande envergure qui provoquent la curiosité et incitent au partage. Le choix de la thématique de cette 10e édition n’est pas anodin, explique Sihem Belkhodja : « Pour un festival, avoir neuf ans, c’est un peu sortir de l’enfance. On commence Í s’aventurer au-delÍ de ses premières amours, Í fréquenter des territoires inhabituels, Í aller Í contre-vent du temps. Et le vent de l’époque n’est pas Í la légèreté. »
Alors, dans ce contexte morose de post-crise mondiale, les Rencontres chorégraphiques de Carthage prennent les chemins de l’humour. Ce choix pourrait surprendre tant la danse contemporaine ne passe guère pour franchement fantaisiste. Une idée fréquente voudrait même qu’on ne danse qu’Í propos de graves matières esthétiques ou existentielles, sans que cela laisse place Í la fantaisie. Les formes joyeuses, enlevées, burlesques, grinçantes, loufoques ou déjantées relèveraient du cabaret, du show-business, tout au plus du simple divertissement. L’ironie, teintée de sérieux et de gravité, passe encore, mais le rire franc paraÍ®t rare et quelque peu suspect.
Les Rencontres chorégraphiques de Carthage ont réussi Í nous dénicher ces quelques artistes qui persistent Í manier rire, dérision ou farce. Ils mettent Í distance la figure compassée du danseur qui pense pour retrouver la moquerie du saltimbanque, la morale du caricaturiste, la profondeur du clown. Et ces chorégraphes-lÍ qui choisissent la voix du rire sont infiniment précieux. Qu’on leur cède la scène.
Il faut dire que depuis sa création en 2001, ce festival aime non seulement inviter les chorégraphes peu connus du public tunisien, mais aussi provoquer des rencontres entre les cultures et confronter les points de vue de la danse.
Qu’est-ce qui fait rire les danseurs ?
Chaque pays, chaque culture possède sa conception du sens de l’humour, mais est-ce que cela se retrouve chez les danseurs ? Au-delÍ des blagues, sujets ou boucs émissaires propres Í chaque tradition, existe-t-il un fond commun d’humour Í tous les chorégraphes qui partageraient au-delÍ de leurs différences cette « étrange entreprise » dont nous parlait Molière ? Si la réponse Í la question appartient Í chacun, la sélection artistique de cette année permet au moins de se faire une opinion avec bonne humeur. Alors, pendant plus d’une semaine, entre la scène du Théatre de la ville de Tunis, la salle le 4e art, la maison de la culture Ibn Rachiq et l’espace Ness El Fen, chorégraphes et danseurs d’Europe, d’Afrique et des deux rives de la Méditerranée vont nous inviter Í partager leur sens de l’humour : humour gai ou théatral, rire léger ou caustique, gestuelle burlesque tout en étant hautement chorégraphique, rire franc et joyeux pour regarder les faces souvent trop grises du monde tel qu’il va.
Plus d’une vingtaine de pièces seront données Í cette occasion, en provenance d’une dizaine de pays, avec une forte présence de la Turquie, l’Egypte, la France, la Suisse et l’Allemagne.