
Commentateur et journaliste sportif de renommée internationale, Mourad Zeghidi nous a accordé cette interview lors de son passage en Tunisie. Mourad prend l’avion de France ou d’Italie tous les lundis pour présenter l’émission de foot phare de canal 7 « Stade7 ». Ce fin observateur se démarque par son sens logique et son regard professionnel et avisé ; il ne mache pas ses mots, commente les plus grands matches avec brio et sait dire ce qu’il pense en bannissant la langue de bois.
Jet Set : Mourad, vous avez commencé votre carrière en 1992 Í Canal Horizons, puis Canal a malheureusement fermé ses portes en 2001. Qu’avez-vous fait après ?
J’ai travaillé Í Canal Horizons de 1992 jusqu’Í 2000, je suis parti un an avant que Canal Horizons ne cesse d’exister, c’était d’ailleurs un triste 16 novembre 2001. En 2000 donc, j’ai quitté la Tunisie et Canal Horizons pour prendre la direction des sports sur l’Afrique. Ça a duré deux ans, jusqu’Í l’arrivée tonitruante de Jean-Marie Messier qui décide que l’Afrique et le Maghreb ne sont plus une priorité et fait par conséquent une énorme réorganisation au sein de Canal+ Horizons.
Je comprends Í ce moment-lÍ qu’il n’y a plus de place pour l’éditorial puisque Canal+ Horizons devient plus un diffuseur qu’un créateur. Entre 2001 et début 2002, je fais un intermède dans la filiale internet (Canal Numédia) du groupe canal. C’était une super expérience puisque c’était plus du management qu’autre chose, ce qui m’a éloigné de l’antenne et du terrain. Je m’occupais notamment du site Canal+.fr , du site de Zidane, de sites de clubs de foot…
l’expérience a duré 7 mois. Mais le terrain, l’antenne, me manquaient et l’été 2002, j’ai atterri Í la direction des sports de Canal+, qui était quand même ma première ambition, Í l’époque o͹ Thierry Gilardi était directeur de la rédaction et Michel Denisot directeur des sports. Et depuis, je suis toujours Í la rédaction de Canal o͹ je me suis occupé évidemment de foot, avec comme date forte 2007 o͹ je suis devenu responsable du foot italien dont je m’occupais déjÍ depuis plusieurs années, ce que je suis encore aujourd’hui. Ensuite, j’ai fait une autre expérience très intéressante entre 2008 et 2009 o͹ je me suis occupé de l’émission 20h sport sur iTélé qui est la chaÍ®ne info du groupe Canal. Aujourd’hui, l’essentiel de mon activité est la couverture de l’Italie sur Canal et j'interviens de temps Í autre sur Info Sport.
Jet Set : Comment avez-vous su que vous pouviez faire carrière dans ce domaine ?
En fait, l’histoire a commencé en 1992 avec Canal Horizons. Pour la petite histoire, je passe un casting pour faire l’émission de cinéma et non pas de sport, mais réellement, mon rêve était de faire du journalisme politique. J’ai d’ailleurs fait des études de droit mais en Tunisie, ce n’est pas évident de faire du journalisme politique. A l’époque, je n’avais pas encore assez de vécu pour partir réaliser mon rêve en France, donc j’ai appris sur le tas, j’ai appris en étant un homme d’antenne et ça s’est fait un peu Í l’inverse, je suis devenu journaliste avec le temps alors qu’au début j’étais plus présentateur.
Maintenant, et on ne finit jamais d’apprendre, je me considère comme un vrai journaliste, quelqu’un qui a un vrai réflexe journalistique, chercher et analyser les faits, chercher la source de l’information… Quand on est dans une grande maison comme Canal, ce qui est important c’est de persévérer. Quand j’ai débarqué en France, j’étais une tête d’affiche en Tunisie mais Í Canal, j’étais presque un anonyme qui devait faire ses preuves. Il faut être enthousiaste et déterminé mais surtout savoir saisir les chances qui se présentent Í vous et j’avoue que j’ai eu beaucoup de chance.
Jet Set : Vous avez sÍ»rement dÍ» vous battre pour vous faire une place, est-ce que vous avez eu un mentor, quelqu’un qui a cru en vous et qui a vu votre vrai potentiel ?
On me demande souvent en France si ça a été un handicap d’être tunisien, je dirais plutÍ´t que ça a été un petit ralentisseur comme un dos d’ane, mais si on le dépasse, on continue dans notre lancée, on poursuit notre route même si elle n’a pas toujours été parsemée de roses. Il y a eu plus qu’un mentor, c’est quelqu’un Í qui je dois beaucoup, qui m’a aidé notamment Í Canal : c’est Hervé Mathoux qui présente aujourd’hui le canal Football Club. Il a été longtemps présentateur de l’Equipe du dimanche et des soirées Ligue des Champions. Hervé s’est battu pour moi sur l’Italie parce qu’il a vu que j’apportais quelque chose, que j’avais une plus value pour ça. Je dirais que c’est quelqu’un qui a beaucoup compté, et qui m’a été précieux et utile Í un moment o͹ la pente était un peu raide.
Jet Set : Parlons de ton domaine, le football. Il y a eu de nombreux incidents, une réelle augmentation de la violence dans les stades, des sommes faramineuses, qu’en pensez-vous ?
Dans le football, tout change mais rien ne change réellement. Aujourd’hui, tout le monde a l’impression qu’il y a une flambée de violence partout, mais je ne suis pas certain qu’il y ait plus de violence qu’avant ; je rappelle qu’une des plus grandes tragédies autour du foot a été la finale de Heysel de la ligue des champions entre la Juventus et Liverpool et elle date de 1985. Ce qui a changé effectivement, c’est qu’aujourd’hui l’argent a pris énormément d’importance, provoquant un écart considérable entre les grands, les moyens et les petits clubs. Jusqu’au début des années 90, on pouvait avoir des surprises, un peu partout les petites équipes pouvaient gagner des titres, par exemple Auxerre, une toute petite ville de 12.000 habitants, qui a remporté le doublé en 1996 en étant devant les gros budgets comme Marseille, Paris, Bordeaux…
Aujourd’hui, c’est devenu très difficile de voir ça dans le monde du football en général. En Tunisie aussi, il y a maintenant 4 grands clubs et on sait très bien que les autres auront du mal pour gagner un jour un titre de champion. Donc, c’est vrai que l’argent a pris beaucoup de place, je ne sais pas si c’est regrettable ou pas, c’est dans l’air du temps, le football s’est professionnalisé et l’injection de fonds est irréversible. Il faut la réguler et la contrÍ´ler mais je pense qu’elle est irréversible, c’est la professionnalisation - parfois extrême- mais je pense qu’on ne reviendra pas en arrière.
Jet Set : Vous êtes installé en France depuis des années, puis soudain vous revenez sur une chaÍ®ne tunisienne, comment ça s’est passé ?
Je ne me suis jamais réellement coupé de la Tunisie, j’ai toujours été en contact avec tout ce qui se passe en terme de création, que ce soit Í la télé ou autre. J’ai la chance de compter beaucoup d’amis dans le théatre, le cinéma que je suis particulièrement, et je me fais bien modeste par rapport Í eux car ce sont de vrais créateurs ; nous, on vend du rêve, eux ils partent de la page blanche, c’est de la création pure. J’ai suivi aussi des projets dans l’audiovisuel, comme la naissance de la chaÍ®ne Nessma… J’ai gardé un pied en Tunisie pendant de longues années, de 2003 jusqu’Í cette année avec une chronique hebdomadaire sur RTCI tous les dimanches Í 18h, ça me permet aussi de prendre le pouls.
Puis j’ai souvent été invité sur des plateaux des chaÍ®nes comme Al Jazeera, Al Arabya, Dubai Tv ou France 24. Mais c’est vrai que le déclic a eu lieu au début de l’année 2010, au moment de la coupe d’Afrique des Nations. Moez Ben Gharbia m’a appelé 2 ou 3 mois avant, m’informant qu’il montait une grosse émission autour de la CAN et qu’il voulait absolument que je sois parmi les consultants. J’ai été un peu circonspect au début, car je n’ai jamais travaillé avec Tunis 7, mais j’ai confiance en ce que fait Moez. De plus, ce dernier était très convaincant et ça a été une super expérience qui a très bien marché en termes d’audience. Moi-même j’étais content de retrouver le public tunisien, la chaleur des gens, et puis mon pays. Ça a tellement bien marché que dans les deux semaines qui ont suivi la coupe d’Afrique, au mois de mars, on me dit « Í la rentrée on va faire une émission et on aimerait que tu restes avec nous ». On a discuté et négocié avec Cactus Prod et maintenant c’est fait, l’aventure Stade 7 a commencé.
Jet Set : Vous êtes habitué depuis des années Í présenter en français, vous n’avez pas eu des difficultés avec l’arabe ?
Au niveau de l’arabe, je n’ai jamais vraiment perdu le fil, j’ai travaillé pour une grosse revue de foot « Super Football » qui était éditée Í Abu Dhabi, j’ai souvent été invité sur les plateaux d’Al Jazeera Sport comme guest, puis j’ai toujours continué Í regarder la télé arabe, Í lire, Í me nourrir justement de la langue arabe. J’ai l’immense chance d’être complètement arabophone et francophone, je suis un littéraire, juriste, journaliste, et j’ai fait mes études Í Khaznadar. Avec tout ça, je ne peux pas me permettre de ne pas bien parler arabe.
Jet Set : Quels sont les projets de Mourad Zeghidi ?
J’ai aujourd’hui de vraies réflexions sur la suite, notamment Í Canal. Stade7 est un projet extrêmement sympathique dans lequel je m’implique, ça me prend du temps mais ça me donne aussi beaucoup de satisfactions ; mais l’essentiel de mon métier étant Í Canal, je suis en train de réfléchir Í mon avenir, j’aimerais évoluer sur d’autres projets, d’autres concepts, et puis pourquoi pas, avoir ma propre structure qui balaye plusieurs activités, la production télé, le conseil, la communication… autour du foot. J’ai la chance d’avoir un bon réseau en France, en Italie, dans le Golfe, je ne dis pas que je suis Í la croisée des chemins mais je n’en suis pas loin.
Jet Set : Vous voyagez énormément grace Í votre métier, est-ce que vous arrivez Í concilier vie de famille et travail ?
C’est très dur, surtout cette année avec Stade 7, c’est dur pour ma femme et mes deux petites filles. J’ai des journées chargées, il m’arrive d’être dans deux ou trois pays différents en 3 jours, Milan, Vérone, 3 heures Í Paris, puis Tunis, je passe la nuit Í Tunis et je repars Í 8h du matin, donc je ne vois pas mes filles du samedi après-midi jusqu’au mercredi matin, ça fait un peu beaucoup. Je devrais remettre une médaille Í ma femme Cyrine pour sa patience, son intelligence, sa compréhension et le fait de s’occuper de Yasmine et Inès.
Propos recueillis par Neͯla Azouz
Le bonheur parfait selon vous ?
Se réveiller en souriant.
O͹ et Í quel moment vous êtes-vous senti le plus heureux ?
Deux fois, quand mes filles sont nées.
Votre dernier fou rire ?
C’était avec ma grande fille, elle regardait un magazine de mode, les défilés des grands créateurs. Elle me demande ce que c’est, que font ces filles, je dis que ce sont des tops modèles qui portent les dernières créations de mode, elle me répond « Mais en fait, elles ne sont jamais Í la mode, personne ne peut mettre ça ! ».
La dernière fois que vous avez pleuré ?
En regardant le film «les invités de mon pére» qui m’a beaucoup rappelé mon grand-père décédé il y a deux ans.
Le principal trait de votre caractère ?
La polyvalence.
Celui dont vous êtes le moins fier ?
Je suis très mauvais en bricolage.
La qualité que vous préférez chez un homme ?
Le courage.
La qualité que vous préférez chez une femme ?
La bienveillance.
Votre plus grande peur ?
La peur du vide… pas physique, le vide…
Que détestez-vous par-dessous tout ?
La lacheté.
Qu'appréciez-vous le plus chez vos amis ?
Leur bonne humeur.
Quel est le comble de la misère ?
La richesse matérielle qui ne sert Í rien.
Quel est le comble de la bêtise ?
Penser que le mal restera impuni.
Quelle est la faute de goͻt impardonnable ?
Les fautes d’orthographe.
Votre devise ?
Le bonheur, ce n’est pas une quête, c’est une manière de vivre.
Si vous étiez un sens ?
Le goͻt, je suis gourmand.
Si vous étiez une chanson ou un genre de musique ?
Le swing, parce qu’il prend un peu de tout, de la soul, du jazz, du funk, et il prend même de la musique classique, j’aime me nourrir de beaucoup de choses Í la fois.
Si vous étiez un endroit ?
Le pont des Soupirs Í Venise.
Qu'aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une belle montre.
Votre dernière bêtise ?
J’en fais beaucoup, j’ai bloqué la canalisation de l’évier de la cuisine en y mettant de l’huile de friture brÍ»lante.
Quelle touche de classe faut-il avoir sur soi ?
Des chaussures bien cirées.
Si vous aviez le pouvoir de faire réincarner 4 personnages historiques ou qui ont compté dans votre vie, et les inviter Í dÍ®ner, qui seraient-ils ?
Mes deux grands-parents maternels, Hannibal et Karl Marx.
Quel défaut doit avoir une femme pour vous plaire ?
Etre fragile.
Comment vous voyez-vous dans 20 ans ?
J’espère serein.