
Son Excellence l’ambassadeur de France, M. Pierre MÉNAT , nous a fait le grand honneur de nous recevoir dans son bureau afin de nous accorder une interview au cours de laquelle il nous a parlé Í cœur ouvert avec une admirable bienveillance, une grande aisance et une remarquable sympathie qui nous ont ravis, nous montrant encore une fois l’humanité et la grande ouverture d’esprit que demande un poste d’ambassadeur.
Jet Set : Monsieur l’ambassadeur, comment avez-vous décidé de faire carrière dans l’administration française et en particulier dans la diplomatie, vous aviez cette ambition depuis petit ?
En réalité, je n’ai pas grandi dans ce milieu-lÍ , j’étais plutÍ´t d’une famille d’enseignants et d’artistes puisque mon père était musicien. Mais j’étais comme bien des jeunes : je ne savais pas bien quelles études faire. Donc j’ai étudié les sciences politiques et le droit, et c’est ainsi que j’ai découvert l’intérêt que présentait l’ENA.
J’ai travaillé 5 ans dans une préfecture et après, je suis entré Í l’ENA.
A ce moment-lÍ , j’étais plutÍ´t dans l’idée de revenir dans la préfectorale, de devenir sous-préfet et plus tard préfet. Puis, au fil du temps, j’ai pu découvrir d’autres pÍ´les d'intérêt grace Í un stage dans une ambassade et j’ai finalement décidé de choisir le corps diplomatique en 1982.
Jet Set : Vous avez aussi travaillé au ministère ?
Sur 27 ans de carrière, j’ai Í peu près travaillé autant Í Paris qu’Í l’étranger. A Paris, j’ai intégré le ministère comme rédacteur, puis j’ai été plusieurs fois au cabinet du ministre, au cabinet du président de la République et plus récemment, directeur des affaires européennes Í deux reprises .
A l’étranger, j’ai été conseiller politique Í la mission permanente auprès de l’ONU Í New York, il y a 20 ans, et par la suite, j’ai été ambassadeur en Roumanie, puis en Pologne. La Tunisie est donc mon troisième poste d’ambassadeur.
Jet Set : Quelle est la différence entre travailler Í Paris et Í l’étranger, est-ce que votre mission change ?
Oui, c’est complètement différent.
A l’administration centrale, nous sommes chargés d’assister nos autorités : le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères, le secrétaire d’Etat. Nous élaborons en même temps les positions françaises, puis les transmettons aux postes diplomatiques et consulaires.
A l’étranger, un ambassadeur représente la France, les autorités publiques Françaises -et d’abord le Président de la République- mais aussi d’une certaine manière les parlementaires, les hommes d’affaires qui souhaitent faire appel Í nous.
Nous sommes en plus dans un pays étranger dont il faut comprendre l’ame en quelque sorte, les tendances et les idées dominantes, comment marche le système, connaÍ®tre les gens… et Í partir de lÍ , on est autonome bien qu’on ait des instructions de Paris. La différence c’est qu’on est en première ligne.
Jet Set : Vous avez occupé le poste d’ambassadeur surtout dans des pays européens, était-ce voulu ?
C’est un peu un hasard et je voulais justement éviter de patir d’une sorte d’étiquette car je trouve que notre métier est universel, c’est l’un des rares qui permettent de s’ouvrir sur l’ensemble de la vie internationale. Je ne voulais pas me couper d’autres continents.
En plus, la Tunisie me passionnait par son identité et par les liens qui l’associent Í la France..
Jet Set : Cela fait un peu plus de 3 mois que vous êtes en Tunisie, parlez-nous de votre poste et surtout de vos projets ?
Je l’ai dit et le répète, je suis très favorablement impressionné par la Tunisie, avant tout par les gens que je rencontre. Ils me paraissent d’un très bon niveau intellectuel, très ouverts et je ne parle pas seulement de l’élite. Dans l’ensemble, ils ont un esprit très positif tourné vers l’avenir. Je suis aussi impressionné par le niveau de formation qui est exceptionnel, par le niveau très élevé des membres du gouvernement, des ministres, mais aussi par les journalistes, le niveau des articles, les artistes, les musiciens, la culture…
Je pense que quand on est ambassadeur auprès d’un pays qui a des liens très étroits avec la France et dans lequel nous avons beaucoup d’instruments de coopération, le rÍ´le le plus utile est de tenir compte des sensibilités qui sont exprimées de part et d’autre, de ne pas accorder trop d’importance Í certains épisodes. Même s’ils sont réels, de tels incidents ne doivent pas bloquer nos relations.
Quant Í mes projets, je pars de deux idées. D’abord, bien sur, la continuité totale avec l’action de mes prédécesseurs – je salue en particulier Serge Degallaix qui a fait ici un travail remarquable. Deuxième idée : il faut certains changements, parce que toute relation doit s’adapter Í son temps. Et aussi, je pense que, peut être, nous n'avons pas assez tenu compte des aspirations des Tunisiens de la société civile qui ont une attente très forte Í l’égard de la France.
Bien sÍ»r, on ne peut pas décréter et dire que cela va se faire demain, il faut trouver comment. On a réfléchi avec mon équipe et on a trouvé quelques thèmes qui me paraissent intéressants, le premier et Í mon avis le plus important, c’est celui de l’emploi. Il y a un fort chÍ´mage, comme en France d’ailleurs, et nous avons un dispositif qui peut permettre d’aider les jeunes Tunisiens Í trouver de l’emploi. Quand on aborde ce thème, il existe un premier obstacle qu’il faut lever : la critique qui peut venir de France sur les délocalisations..
Mais on peut y répondre on disant qu’il y a des entreprises qui viennent en Tunisie parce qu’il y a de la croissance et qu’ils vont avoir une activité intéressante, ce qui va leur permettre de maintenir leurs emplois en France, voire d’en créer.
Concrètement, nous allons organiser un forum tuniso-français pour l’emploi, il y aura deux objectifs : d’abord, présenter des offres d’emploi aussi bien en France - puisqu’il y a 9000 emplois offerts aux Tunisiens et seulement 2000 aujourd’hui sont pourvus - mais aussi en Tunisie avec les entreprises françaises. Puis il s'agira aussi de présenter tout notre dispositif et nos projets car nous en avons beaucoup, comme les établissements français d’enseignement, l’école d’ingénieurs de Bizerte, les emplois créés par les entreprises françaises… Nous avons un accord de développement solidaire, nous avons aussi un dispositif très étoffé sur la formation professionnelle et sur l’aide au retour de Tunisiens qui souhaitent revenir de France.
Cet événement peut apporter une synergie qui aiderait Tunisiens et Français Í mieux se comprendre.
La deuxième question, c’est la culture. Il faut y travailler davantage car c’est le cœur même de l’amitié franco-tunisienne.. Premier projet : ouvrir Í Tunis un vrai centre culturel. Nous en avons la possibilité si nous regroupons Í la médiathèque tous les services, en rénovant la considérable surface désaffectée, anciennement occupée par l’ancien petit lycée Carnot. Il faut bien sÍ»r faire des travaux mais il y aurait une salle de spectacle, des espaces culturels… Enfin, quelque chose qui présenterait un beau visage de la France. Pour moi, c’est un projet prioritaire. Evidemment, ça ne va pas se faire en quelques jours, il faut trouver les financements, ce n’est pas la première fois qu’on en parle, mais je voudrais le réaliser.
Puis, le deuxième aspect dans la culture, c’est l’audiovisuel, parce qu'on a constaté d’après les sondages, une baisse au profit notamment des chaÍ®nes arabophones. On va y travailler et organiser dans la deuxième partie de l’année 2010 un événement qui serait une rencontre des professionnels de l’audiovisuel des deux pays. Le principe : se mettre autour d’une table et voir ce qui pourrait être amélioré, avec peut-être des coproductions, des programmes français Í la télévision tunisienne ou de nouvelles chaÍ®nes, internet…
Le troisième sujet, c’est tout ce qui touche aux relations avec l’Union européenne. La France soutient l’obtention par la Tunisie d’un statut avancé, tout simplement parce que ce pays est très avancé en matière économique, dans la recherche, l’environnement…
Ma quatrième priorité, c’est la coopération décentralisée, celle qui associe nos collectivités territoriales. Ce qui se fait aujourd’hui est remarquable (je pense en particulier Í Marseille, au département des Bouches du RhÍ´ne, Í la région PACA) mais je suis persuadé qu’il y a beaucoup d’autres régions françaises qui seraient très heureuses de coopérer avec la Tunisie.
Jet Set : Il y aura une contribution de la Tunisie pour le projet du centre culturel ou est-ce que ce sera exclusivement français ?
La contribution essentielle viendra de la France, mais pourquoi pas une contribution tunisienne ? Il faut l’examiner.
Jet Set : Est-ce que vous avez déjÍ commencé Í travailler concrètement sur ces projets ?
Oui, bien sur. Je peux déjÍ vous dire que le forum pour l’emploi se tiendra fin avril et que les journées de l’audiovisuel auront lieu Í l’occasion des Journées cinématographiques de Carthage. En ce qui concerne le centre culturel, nous sommes Í la recherche du financement..
Jet Set : Pour revenir un peu Í vous, ça fait longtemps que vous vivez loin de la France, est-ce que votre pays vous manque ?
Il y a eu une période o͹ la France me manquait, quand j’étais aux Etats-Unis. J’aime beaucoup ce pays mais c’est très différent, on a l’impression de vivre dans un autre monde. Donc, effectivement, j’avais ce désir de France et comme c’est loin, je n’y allais pas assez souvent. Il n’y avait par exemple aucune présence médiatique française, Í part quelques films. En Roumanie ou en Pologne, c’était l’Europe, la France n’était pas loin. Ici en Tunisie, la France me manquera encore moins, tant l’accueil des Tunisiens est chaleureux et tant nos affinités sont multiples.
Jet Set : Votre famille vous accompagne ?
Ma femme travaille Í Paris au Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire mais elle vient aussi souvent que possible, elle est d’ailleurs ici pour deux semaines.
Quant Í mes deux fils, le premier a 25 ans il a terminé ses études dans une grande école de commerce et travaille, comme volontaire international, en Roumanie ; le second a 21 ans et se trouve actuellement au Japon pour ses études.
Jet Set : Que pensez-vous du débat concernant l’identité nationale ?
Ce débat est nécessaire dès lors que certains s’interrogent sur cette identité. Pendant plus d’un siècle, le modèle français fondé sur l’intégration républicaine fonctionnait bien. La France a toujours été terre d’accueil et très vite, les nouveaux arrivants se sentaient Français. Appartenir Í une nation c’est avoir en commun des valeurs, une langue, une culture, c’est trouver sa place dans la société. Tout cela, le modèle français l’assurait. Ce modèle s’opposait au système communautariste dans lequel l’identité nationale est un plus mais o͹ la cellule de base est la communauté. Aujourd’hui, on est passé Í une autre phase qu’il ne faut absolument pas confondre avec le problème de l’islam. Le fait est que nous avons des vagues d’immigration de différents pays, pas seulement des musulmans et des Arabes, mais aussi des Latino-Américains, des Africains, des Asiatiques, des personnes originaires d’Europe centrale, etc... Le problème, c’est que la société contemporaine n’a pas trouvé les schémas pour les intégrer totalement. Et d’ailleurs, le sentiment d’appartenance nationale s’est aussi affaibli chez les Français « de souche », comme on dit.
Vous voyez donc l’importance de ce débat : faut-il conserver notre modèle d’intégration et si oui –je ne vous cache pas que ma propre réponse est positive- comment l’adapter pour qu’il fonctionne Í nouveau pleinement ?
Mais prenons garde : quand on fait un débat, on a tendance Í n’évoquer que ce qui ne va pas, de même qu’on ne parle jamais des trains qui arrivent Í l’heure. Or, dans bien des cas, peut être même la majorité, l’intégration continue Í fonctionner très bien. Si vous prenez le cas des Français d’origine tunisienne, un très grand nombre ont connu une brillante réussite sociale et professionnelle. Ils se sentent Français, ce qui ne les conduit d’ailleurs Í renier ni leurs origines, ni leur religion.
Jet Set : Pour conclure cette entrevue sur une note d’échange, qu’est-ce que vous avez Í dire aux Tunisiens et Í nos lecteurs ?
Il y a une très grande amitié entre la France et la Tunisie et je voudrais en tirer le meilleur, tirer parti de cette période o͹ je suis ici pour que les affinités et les amitiés entre nos deux peuples soient encore renforcées et qu’on trouve ensemble les voies et moyens de faire encore mieux.
Je veux leur dire aussi que je comprends les attentes des Tunisiens, je sais par exemple qu’il n’aiment pas l’idée de ne pas pouvoir aller étudier, travailler ou tout simplement voyager en France. Je le sais, on est en train d’ailleurs de faciliter les choses.
Propos recueillis par Neͯla Azouz
Le bonheur parfait selon vous ?
Il n’existe pas totalement, c’est une somme de moments particuliers.
O͹ et Í quel moment vous êtes-vous senti le plus heureux ?
Deux choses me viennent Í l’esprit, la première c’est quand j’étais Í New York, c’était Í la fois la découverte d’un monde, d’un travail… et puis mon premier poste d’ambassadeur en Roumanie, parce que je découvrais Í la fois le pays et ce travail.
Le principal trait de votre caractère ?
Têtu
Celui dont vous êtes le moins fier ?
Obstiné
La qualité que vous préférez chez un homme ?
L’intelligence.
La qualité que vous préférez chez une femme ?
L’intelligence et le fait d’apporter une sensibilité différente et nécessaire.
Votre plus grande peur ?
La guerre.
Que possédez-vous de plus cher ?
Ma famille.
Que détestez-vous par-dessus tout ?
Le mensonge.
Qu'appréciez-vous chez vos amis ?
Qu’ils me disent les choses sans fard.
La ville o͹ vous aimeriez vivre ?
Londres, parce que j’avais très envie de vivre Í New York et je l’ai fait, en revanche je connais bien Londres mais je n’y ai jamais vécu, pas même quelques mois.
Quel est le comble de la misère ?
C’est la faim et être privé de soins.
Quel est le comble de la bêtise ?
C’est de ne pas vouloir voir la réalité.
Si vous étiez un sens ?
L’ouͯe.
Si vous étiez une chanson ?
New York, New York, Diana de Paul Anka Les Vieux de Jaques Brel, Sur ma vie d’Aznavour, et toutes celles des Beatles.
Si vous étiez un endroit ?
Une plage.
Si vous étiez un film ?
Casablanca.
Si vous étiez un mot ?
Ouverture
À quoi avez-vous renoncé pour faire votre métier ?
A être artiste, Í chanter, faire de la musique.
Le mot que vous détestez ?
On ne peut pas (je vous en donne quatre au lieu d'un)
Le métier que vous n'auriez jamais voulu faire ?
Banquier.
Quelles sont les trois choses que vous emporteriez sur une Í®le déserte ?
Mon livre de Proust, A la Recherche du temps perdu, un coffret de Mozart et un maillot de bain
Si vous aviez le pouvoir de faire réincarner 4 personnages historiques et de les inviter Í dÍ®ner, qui seraient-ils ?
De Gaulle, Voltaire, Marcel Proust et Jeanne D'Arc.
Quel défaut doit avoir une femme pour vous plaire ?
Le culot.