Interview avec Martin Scorsese

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Interview avec Martin Scorsese

Je l’avoue. Je suis, comme beaucoup de cinéphiles, fan de Martin Scorsese. C’est Marty, comme il aime se faire appeler, qui m’a donné le goÍ»t du cinéma avec des chefs-d’œuvre qui se regardent en boucle : le réalisme de Mean Streets, la violence des Affranchis, De Niro dans Taxi Driver, Raging Bull ou encore Casino, Di Caprio dans Aviator.
Martin Scorsese, qui ressemble d’ailleurs comme deux gouttes d’eau Í  un certain Malek Malouki, est un visionnaire. Mais Scorsese nous a récemment pris Í  contre-pied. L’homme derrière la réplique «C’est Í  moi que tu parles?» s’est lancé dans l’adaptation d’un livre pour enfants. Connu pour son style indépendant, le réalisateur tente la 3D. Il est clair que dans l’esprit de tout fan de Scorsese, la première réaction est de se demander si Marty n’a pas vendu son ame au diable. Mais dès les premières minutes d’Hugo Cabret, on se laisse emporter par cette belle fable qui rend hommage au cinéma et Í  celui qui, pour bon nombre d’entre nous, l’a inventé : Méliès.
Martin Scorsese a accepté de revenir sur Hugo Cabret pour Jet Set Magazine. Malgré une légère grippe, Marty s’est prêté au jeu et a partagé avec nous son amour du cinéma.

Ramzy : Pourquoi tu dis toujours que tu t’es identifié au personnage d’Hugo Cabret ? C’est l’enfant qui sommeille en toi ?

M.S. : Plus que ça. Ça a un rapport direct avec toute mon enfance. A l’age de 3 ans, je suis devenu asthmatique. J’ai donc été isolé de tout. Je ne pouvais pratiquer aucun sport. Mes parents m’emmenaient beaucoup au cinéma. Jusqu’Í  mes 16 ans, j’ai été mis Í  l’écart et ça m’a forcé Í  trouver d’autres moyens de m’exprimer. Nous habitions un appartement Í  New York. Quand j’étais seul, je dessinais, je faisais des croquis. C’était ma seule façon de m’évader. Ce monde imaginaire était mon ami car je n’avais pas le droit de jouer avec les copains du quartier.  Lorsque j’ai lu Hugo Cabret et que j’ai vu ce garçon qui vit isolé dans une gare, je me suis tout de suite identifié Í  lui. Hugo, c’était moi..

Ramzy : C’est donc un hommage Í  ton enfance ?

M.S. : Bonne question. Je n’avais pas l’intention de le faire. Je voulais en quelque sorte faire un film qui ressemble au travail de George Méliès. Tout a commencé Í  l’époque o͹ je tournais Shutter Island avec Di Caprio. J’entendais tout le monde me dire: «Marty, quand est-ce que tu vas faire un film que ta fille va pouvoir regarder?» Je répondais que je ne savais pas et que je verrais bien. C’est Í  ce moment-lÍ  qu’on m’a donné Hugo Cabret. En lisant  ce livre écrit par Brian Selznick, j’ai été fasciné par les illustrations. Le design était magnifique. Comme ma fille grandissait et commençait Í  comprendre le monde qui l’entourait, je me suis dit que ce serait le moment de faire un film dont les acteurs principaux seraient des enfants. C’est ensuite une pure coͯncidence. Le producteur qui a acheté les droits du livre m’a proposé de l’adapter au cinéma. Lorsque j’ai dit Í  ma fille que j’allais réaliser Hugo Cabret, elle m’a tout de suite demandé: «En 3D?» (Rires…)

Ramzy : Qu’as-tu retenu de cette expérience de mise en scène avec des enfants ?

M.S. : J’ai appris qu’on n’arrête jamais d’apprendre. Chaque film a ses difficultés et ses contraintes. Moi qui ai l’habitude de travailler de longues heures avec les acteurs, sur ce film, je ne pouvais avoir les enfants que 4 heures par jour. De plus, il fallait qu’ils aient chacun un jour de repos, parfois deux dans la semaine. Ça a été un casse-tête d’organiser le planning de tournage autour de ces contraintes. C’était une bonne leçon. On pense avoir tout fait, tout connaÍ®tre. Mais je me rends compte qu’on est toujours confrontés Í  de nouveaux défis. Il faut garder un esprit ouvert. VoilÍ  ce que j’ai retenu.

Ramzy : Ton film Les Affranchis a changé ma vie. Je me suis toujours demandé quel film a changé la tienne.

M.S. : Sur les quais, d’Elia Kazan, avec Marlon Brando et Karl Malden. Pour la première fois, je voyais au cinéma des personnages que je connaissais. Je veux dire par lÍ  qu’ils ressemblaient aux membres de ma famille, Í  mes oncles, Í  mes cousins. Je suis New-Yorkais et je suis issu d’un milieu italien. Ce que j’ai vu dans Sur les quais m’a bouleversé. Mais il n’y a pas que ce film. Plus tard, j’ai vu le film de John Cassavetes, Faces. J’ai su que John avait utilisé une caméra 16mm car il n’avait pas assez de budget pour le réaliser en 35mm. J’ai enfin compris qu’on pouvait faire du cinéma indépendant Í  New York. Il faut savoir qu’avant Cassavetes, si on ne s’appelait pas Elia Kazan ou Sam Spiegel, il était impossible de faire un film comme Sur les quais. Faces a donc été pour moi une révélation. Tout ce que je vivais au quotidien, tout ce qui m’entourait, toutes les histoires de mon quartier, je pouvais enfin les adapter sur grand écran.

Ramzy : Et si tu devais choisir dans ta filmographie, quel est le film qui te tient le plus Í  cœur ?

M.S. : Il est extrêmement difficile de répondre Í  cette question. Je vais donc sortir mon joker et te donner la réponse la plus sÍ»re. Mon film préféré est  celui que j’ai tourné sur ma mère et mon père. C’est un documentaire intitulé « Italien-Américain ». En fait, j’ai un film préféré : Mean Streets.

Ramzy : Ah bon ?  Et Raging Bull ?

M.S. : D’autres, comme toi, c’est vrai, auraient choisi Raging Bull, mais pour moi, les deux films que j’ai cités montrent beaucoup mon monde, ma famille, l’endroit d’o͹ je viens. C’est vrai que Raging Bull est un film très personnel mais il fait partie d’un autre monde que le mien. Un monde que je ne connaissais pas avant de faire ce film.

Propos recueillis par Ramzy Malouki