
Notre dernière rencontre remonte Í un an. C’était sur le tournage de Black Gold de Jean-Jacques Annaud. Antonio me parlait du sang arabe qui coulait dans ses veines, de la beauté du paysage tunisien et de sa relation privilégiée avec Tarak Ben Ammar. Je me demandais si tout cela n’était que de la promo pour cette épopée tournée presqu’entièrement chez nous. Mais lorsqu’Antonio est entrée dans la pièce et m’a reconnu, sa première réaction a été de me dire qu’il reviendrait en Tunisie pour tourner le film qu’il doit réaliser. Un film produit par Ben Ammar. Cela confirme ce qu’on raconte sur lui. Antonio Banderas n’a qu’une parole.
L’acteur espagnol s’est retrouvé dernièrement au Festival de Cannes avec deux films. Le premier marque ses retrouvailles avec le réalisateur qui l’a lancé, Pedro Almodovar. Le thriller La Piel que Habito ( La peau que j’habite) a depuis remporté plusieurs dont celui de la jeunesse Í Cannes. Le second marque également les retrouvailles de Banderas avec un personnage qu’il connaÍ®t bien. Le chat potté. Avec Black Gold, Antonio a donc 3 films en 2011. Mais plus que la star mondiale, c’est l’homme qui nous intéresse. Antonio Banderas se livre Í cœur ouvert.
Ramzy : 51 ans. J’ai du mal Í le croire. J’ai l’impression que tu ne changes pas. Quel est ton secret ?
Antonio Banderas : J'ai lu Goethe quand j'étais gamin! Et j'ai fait un pacte avec le diable ! (rires…). Non, Je n’ai pas de secret. Et en plus, je n’ai pas réussi Í arrêter de fumer
En revanche, je pratique le yoga et je mange sein. J'essaye d'être en harmonie avec ma vie. Je ne suis plus aussi anxieux qu'avant pour aller de l'avant. Je suis Í un stade de ma vie o͹ je suis heureux. Je crois que lorsqu'on est satisfait de ce qu'on fait, ça se ressent même dans notre apparence. Mais je n'ai aucun secret.
Ramzy : qu’est ce que tu penses de la chirurgie esthétique ?
Antonio Banderas : Je ne suis pas contre ! Ce n’est pas quelque chose que je ferai. Ce serait bizarre de me réveiller et de voir quelque chose que je ne suis pas. Je préfère que la vie me mène lÍ o͹ elle doit me mener. Les rides vont arriver et elles seront les bienvenues. Maintenant, ceux qui passent par le bistouri l’ont décidé. Ce qui me gêne, c’est la pression qu’on met sur les gens pour être beaux, et rester jeunes. Certaines publicités devraient être interdites. J’en ai vu une o͹ on a l’impression que pour travailler dans une banque, tu dois être beau et parfait ! Cela devrait être interdit car ça incite les gens Í la perfection. personne ne peut l'être ! La vie n'est pas parfaite. On oublie souvent que le dernier chapitre de la vie, c'est la mort ! C'est notre seule certitude. Tout le reste est relatif.
Ramzy : tu dis que tu te sens beaucoup plus en harmonie aujourd’hui. Est ce que tu gères mieux les mensonges et l’hypocrisie qui règnent Í Hollywood?
Antonio Banderas : j’essaye de rester rester soi-même que ce soit dans mes relations personnelles et professionnelles. Je ne me laisse pas distraire par tous les « bonbons » qu'il y a autour. A 51 ans, c'est beaucoup plus facile qu'avant. J'aurais pu céder Í toutes ces tentations qui te transforment en quelqu'un que tu n'es pas vraiment. C'est difficile parce qu'en réalité, une star de cinéma, c'est déjÍ un énorme mensonge ! C'est un gars qui, Í part jouer les personnages dans son activité professionnelle, doit jouer son propre personnage. On dit qu’une étoile doit toujours briller mais ce n’est pas vrai. On a tous nos misères et notre tristesse. Une star doit cacher tout ça. Sinon, elle n'est plus une étoile... mais une planète ! Ma profession commence avec "Action" et se termine avec "Coupez". Ma lumière, c'est ma femme et mes enfants
Ramzy : Mélanie et toi, vous êtes mariés depuis 15 ans. Ce rare pour un couple hollywoodien
Antonio Banderas : Notre relation fonctionne car nous n'essayons pas de reproduire les raisons pour lesquelles on était ensemble au début. Beaucoup de gens font cela, ils essaient de reproduire leurs six premiers mois de mariage. Il faut accepter le fait qu’il y a toujours quelque chose de nouveau dans une relation et s’adapter. de plus, nous venions tous les deux de mariages qui se sont avérés des échecs. On a beaucoup appris de cela. On aime se projeter dans le futur et surtout, nous avons tous les deux un sens immense de la famille. Avec tout cela, je n'irais nulle part ailleurs !
Ramzy : Justement, puisque tu parles Anglais avec ta femme. Il n'y a rien que se perd dans la traduction ?
Antonio Bandera : Non, car je m'exprime aussi beaucoup avec mon corps…(rires…). Mais je ne vais certainement pas parler de cela! C'est sÍ»r qu'on se sent toujours plus Í l'aise en parlant dans sa langue maternelle. Mais cela peut être intéressant de travailler dans une langue différente. Les mots sont plus que les mots, ils ont une signification pour chacun de nous. Le mémé mot pour toi peut avoir une signification différente pour moi, selon ce qu'il implique pour chacun de nous : la nostalgie, un sentiment, peu importe... Quand j'ai commencé Í travailler Í Hollywood, pratiquer une autre langue m'avait libéré. C'était beaucoup plus facile pour moi de dire "I love you" plutÍ´t que je t'aime en espagnol. Cette phrase est pleine d'émotion par rapport Í la façon de la prononcer. Mais "I love you", c'est plus facile Í dire. Quand on apprend une langue et qu’on l'applique dans un pays, on retient avant tout les injures. Je me souviens d'un repas Í Los Angeles. j’avais sorti « motherfucker » et tout le monde avait été choqué. Pour moi, c'était juste un mot que j'avais appris, je ne savais pas tout le poids qu'il pouvait avoir. Donc c'est libérateur, je peux dire des choses en anglais qui sont un peu plus choquantes.
Ramzy : Avec Almodovar, tu fais en quelque sorte ton retour aux sources. Quand est ce que vous avez décidé de retravailler ensemble ?
Antonio Bandera : C'était au Festival de Cannes en 2002. il est venu me voir avec l’idée de « la peau que j’habite ». Il venait de lire le bouquin « mygale » et pensait que ce serait parfait pour nous. Je revenais de New York o͹ je travaillais sur Zorba et il m'a dit, sans même un bonjour, "C’est le moment !" c’est vrai qu’en retournant en Espagne,
je me suis rendu compte qu’il était plus facile de jouer dans ma propre langue. Tu ne dois pas travailler davantage comme c'est le cas quand je tourne en anglais. Même si je m'améliore et que ça devient plus fluide, j’ai besoin de me concentrer. Mais mes souvenirs, ma nostalgie, tout est en Espagne. Y retourner pour Almodovar, c'est comme revenir Í la maison avec sa famille. En plus, l'équipe est toujours la même : les caméramans, les monteurs, les photographes, je suis retourné dans un endroit que je connais vraiment bien.
Ramzy : ton autre film, le chat potté, sort en même temps que Tintin, ici aux USA. Tu as grandi avec Tintin en Espagne ?
Antonio Bandera : Oui j'étais un fan quand j'étais petit. Viaje a la luna, (objectif lune, N.D.L.R.). J'adore les personnages : la Castafiore, le Capitaine Haddock, Milou. Les Dupont. En espagnol, c'étaient les frères Hernandez et Fernandez !
Oui, les deux films sont concurrents, mais Í Hollywood, toutes les semaines, c'est la compétition ! On ne sait jamais ce qui va se passer. Je dirais que les jeunes enfants iront voir le Chat Potté, alors que les plus vieux comme moi seront plus attirés par Tintin pour les souvenirs. J'ai vraiment hate de voir ce tintin. J'apprécie beaucoup Steven Spielberg
Ramzy : « El Camino de los ingleses », que tu as réalisé n'est jamais sorti aux USA. Pourquoi ?
Antonio Bandera : C'était un film expérimental. A Hollywood, ils sont toujours un peu allergique Í ce genre. S’il y a un mot qu'on ne dit jamais dans un studio, c'est expérimental. Ils te jettent par la fenêtre (rires…) ! Ce n'était pas un film commercial mais il a quand même était distribué dans 23 pays. C'était pour moi une façon de me trouver dans la réalisation. Pour en revenir Í Pedro et je ne me compare pas Í lui, cela n’a pas été facile pour lui. Quand on est aussi subversif, et qu’on propose quelque chose d'aussi original qui brise les codes, on en paye le prix. Je me souviens de ses quatre, cinq ou six premiers films. ils n'avaient pas été biens reçus en Espagne. Son secret, ce n'est pas uniquement son génie, c’est sa persistance. Il a fallu les festivals de Berlin, Venise et Cannes pour que les espagnols finissent par se dire "attendez, on n'a pas raté quelque chose lÍ ?". Ils ont regardé ses films différemment. Mais ça continue. Ses films marchent bien en dehors de Espagne.
Peut-être que je dois être aussi persistant que lui. Je veux continuer Í réaliser Í et me chercher dans ce rÍ´le. Si je reste honnête avec moi-même, peut-être que je trouverai ma place.
Ramzy : On sait que Pedro peut être dur avec ses acteurs. Maintenant que tu es passé de l'autre cÍ´té de la caméra, il te respecte davantage ?
Antonio Bandera : Il me respecte, mais on peut aussi s'engueuler. Je ne travaille comme si j’étais en vacances. Je ne suis pas lÍ pour faire la fête. Ce n’est jamais évident lorsque tu dois utiliser Í la fois ton corps et ton esprit. C'est mon instrument de travail. Je n'ai ni trompette ni crayon, il n’y a que moi. Par moment, c’est difficile. Laura Linney m'a dit un jour que lorsque tu te sens confortable dans ton travail, rien ne ressort. Tu ne fais que donner au public tous les tours que tu connais et ils vont tout de suite le voir. Ce n’est pas comme cela que Pedro. Il va toujours plus loin, il essaye de trouver quelque chose chez toi qu'il n'a jamais vu auparavant. Il a une intuition et il creuse pour trouver. Quand Í moi, je dois me laisser faire et ce n’est pas du tout évident ! Mais j'adore Pedro. Si je meurs demain, ce qui restera, ce seront les six films que j’ai faits avec lui, Zorro et Evita. Pedro Almodovar fait partie de ma vie professionnelle et personnelle. C’est un génie.
Ramzy : Quand tu reviens en Espagne, on ne t'a jamais accusé d'être devenu trop américain ?
Antonio Bandera : Non. Tout le monde sait que je ne suis pas trop américain. Je n'ai même pas de carte verte. J’ai besoin de visa de travail Í chaque fois que je fais un film sur le territoire US. J'aurai pu avoir le double nationalité car je suis marié avec une américaine et ma fille est américaine. Mais Je suis un espagnol ! Je n'ai jamais renié mes origines. je retourne chez moi très souvent, je participe aux traditions de mon pays. J'en suis fier. Ma société de production que je relance avec l'aide de la France et de l'Espagne est une société espagnole. Et même si le financement peut parfois provenir des USA, elle sera toujours espagnole!
Propos recueillis par Ramzy Malouki