
Interview
lotfi Elabdelli
Vous
venez de présenter votre nouvelle version de Mad inTunisia intitulée « Is
back », parlez nous des nouveautés.
Ce n’est pas une nouvelle version, c’est une version
remaniée. Je l’ai appelé « Is back » parce que j’avais arrêté de
jouer pendant quelques mois, vu les problèmes que j’ai eu depuis cet été.
Vous
avez eu l’envie de vous retirer complètement ?
Oui j’ai eu l’envie d’arrêter complètement, puisque ma vie était menacée. J’ai vu des gens m’attaquer avec des sabres, me menacer de mort…
D’ailleurs quand je raconte mes déboires Í mes amis
étrangers ils restent pour la plupart bouche bée, ils ne comprennent pas que
des problèmes pareils puissent arriver Í un artiste, Í une personne qui vent
des vannes. Tout ce que je peux dire c’est qu’il y a encore des pays de
dictature o͹ la vanne est considérée comme une arme dangereuse, du coup on veut
m’abattre avec de vraies armes, avec une vraie violence.
Comment
l’envie est elle revenue ?
Ça a pris 5 mois pour que le calme revienne
relativement, je suis parti travailler sur des films Í l’étranger, j’ai vu du
pays et puis le fait de remonter sur scène a commencé sérieusement Í me manquer,
surtout en voyant les désastres qui nous assaillent tous les jours et devant
lesquels je ne peux pas ne pas réagir. Mais c’est aussi grace aux gens et au
public qui ne cessent de m’encourager Í reprendre la scène.
Quand j’ai décidé de reprendre, j’ai présenté une
mise Í jour du spectacle, un petit rafraichissement.
En fait j’ai un fil conducteur central qui me permet
de changer autant que je veux, de broder autour et de nuancer mon spectacle.
Puis il y a tellement de choses qui changent avec ce
nouveau gouvernement, que je ne sais
plus o͹ donner de la tête !
On
a remarqué que votre retour est assez virulent face Í la politique du pays.
Parlez-nous-en.
Ils excellent dans la connerie humaine et dans
l’illogique, ce qui en fait une très bonne matière pour mon travail. On ne peut
les combattre qu’avec l’humour satirique qui amuse la galerie mais qui montre
aussi la médiocrité qu’on nous sert tous les jours que le bon dieu fait. Si on entre
dans leur jeu, on finira par déprimer, se shooter aux antidépresseurs, ou
encore se bruler vif !
Quand on voit ce qui se passe, on remarque
clairement que le désespoir est revenu au pays, le fait de ne pas voir le bout du
tunnel et de ne pas savoir o͹ on va
perturbe énormément la quiétude qu’on voulait tant après la révolution.
En plus aux problèmes sociaux, la politique actuelle a fait de nous des
ennemis, ils ont divisé le peuple, les opinions et ils ont encouragé la
violence et ravivé la peur. D’ailleurs Í chaque fois que je vois mon public au
théatre, je ne manque jamais de le remercier, car même sortir le soir est
devenu un acte de courage !
Vous
êtes considéré comme un artiste engagé, qui ose critiquer ouvertement la scène
politique. Est-ce que vous pensez que cela pourrait faire bouger les choses
même Í petite échelle ?
Je n’ai pas la prétention de changer les choses,
mais j’estime que si je peux rendre le sourire aux gens, les faire rire et les
soulager, c’est déjÍ une grande victoire face Í ceux qui vendent la peur et la
terreur.
Je suis juste l’alarme du peuple, je ne peux pas
arrêter le voleur, mais je peux le signaler !
Je crois que les membres du gouvernement devraient
réaliser les responsabilités qu’ils ont et ce qu’ils représentent, il faut
qu’ils soient respectables et présentables avant tout.
Et puis il y a des moments ou il faut me prendre au
sérieux et d’autres non. C’est mon métier !
D’ailleurs
vous jouez un peu avec ça, on ne sait pas sur quel pied danser !
Oui il faut que la surprise soit toujours présente,
l’ennui ne doit jamais trouver sa place, sinon je deviendrai comme un produit
consommé qui n’a plus aucun intérêt. Et cela n’est possible qu’avec énormément
de travail et de technicité mais aussi grace Í une bonne culture sociale et
internationale qui permet d’avoir le recul nécessaire pour savoir sur quelle
ficelle tirer.
Parlez-nous des nouveautés de votre spectacle.
On y trouve tout ce qu’il y eu de nouveau dans la
scène politique, Í part quelques personnages que je trouve antipathiques et
sans intérêt ! Il y aura donc parmi d’autres : Mustpha Ben Jaafar qui ne m’a rien inspiré
pendant 2 ans mais pour qui je viens de trouver une histoire qui a énormément
plu au public, il y a aussi Laarayadh dont j’imite la voix et la posture… ou
encore Mohamed Jebali qui est devenu un axe assez important du spectacle avec
l’histoire de sa démission et la phrase culte qu’il a dite « je vais démissionner
mais je travaillerai encore plus ! » une phrase que même les
américains essayent encore de déchiffrer (rires).
Et
Toumya elle y est aussi ?
S’il y a bien une concurrence aujourd’hui ça serait
elle ! J’espère qu’on pourra faire un duo ensemble pour ce ramadan
(rires). On est d’ailleurs en train de se battre avec Jaafer El Gasmi pour
elle.
Je pense qu’elle jouera aussi dans Maktoub, elle
pourra même avoir le rÍ´le principal féminin !
Il y a aussi Le Calypso qui négocie pour la prendre
cet été grace Í sa réflexion « assahar »… les festivals du rire aussi
veulent la booker ! Il faut juste qu’elle réalise une affiche avec une
date et vous verrez que le public affluera !
Tout ce que je peux lui dire c’est «
Bravo Madame ! Continuez comme ça ! Vous êtes une grande surprise
pour le peuple tunisien qui vous attend impatiemment pour ce ramadan. »
(rire)
Quels
sont vos projets ?
Juste après cette tournée, je vais commencer le
tournage d’une série tunisienne avec Sawsen Maalej, puis je retourne Í Malte
pour finir le tournage du film franco-maltais Simshar qu’on avait commencé en été. Le film relate
l’histoire véridique de Simon dont je
joue le rÍ´le, un marin qui a survécu Í un accident en mer pendant lequel il a
perdu plusieurs membres de sa famille, son périple a duré huit jours avant
qu’il ne soit retrouvé presque en fin de vie…
l’histoire de ce marin porte en elle aussi celle du calvaire de
l’immigration clandestine. Une histoire touchante que j’ai la chance de
raconter…
Pourquoi
le tournage s’est fait en deux parties ?
Il nous fallait tourner en été pour la partie en mer
car ça impliquait des méthodes de tournage complètement différentes, et au
printemps on tournera la partie terrestre.
On
a remarqué que vos rÍ´les au cinéma sont pour la plupart assez sérieux.
Pourquoi ? On ne vous propose pas des rÍ´les humoristiques ou c’est vous
qui n’en voulez pas ?
On me propose souvent des rÍ´les humoristiques, mais
au cinéma je préfère choisir des rÍ´les plus sérieux et ce pour avoir un bon
équilibre. Je ne me considère pas comme un comique, je suis acteur avant tout.
Même si j’ai réussi Í créer un spectacle humoristique, cela ne veux pas dire
que je ne sais faire que ça. Je suis un comédien qui vient du théatre et qui
est acteur de cinéma. Je préfère faire rire au théatre et de temps en temps
faire des rÍ´les humoristiques, et puis jouer autre chose au cinéma et Í la
télé. C’est beaucoup plus enrichissant pour moi et pour mon expérience, car les
deux sont difficiles, et rares sont ceux qui réussissent Í switcher entre les
deux.
D’ailleurs j’ai commencé ma carrière d’acteur avant
ma carrière humoristique, le tout c’est de trouver le bon équilibre.
Vous
avez écrit ou eu des propositions d’écriture de scénario ou autres ?
J’écris pour mon spectacle dont c’est la 3èmeversion, on m’appelle parfois pour coécrire mais je ne l’ai jamais réellement fait,
je respecte chaque métier et je pense que c’est un métier Í part entière.
Que
pensez-vous de l’évolution de votre carrière ?
Même en rêve je ne pensais pas que j’allais trouver
autant de portes ouvertes, que j’allais avoir une carrière Í l’étranger, que
j’allais être reconnu par mon travail.
J’ai eu plusieurs propositions de travail en France,
dans des théatres avec des cycles de 6 et 8 mois, mais pour se faire il faut
être sur place et s’éloigner du pays, ce qui me rebute un peu car je tiens Í
rester auprès de ma mère qui n’a que moi. Il y a toujours des sacrifices Í
faire, mais le bonheur de ma mère c’est aussi le mien.
Et cela ne me frustre pas spécialement puisque je pars chaque 2 ou 3 semaines pour
jouer dans quelques théatres, enrichir mon expérience et me faire plaisir.
Vous
jouez la totalité de votre spectacle en français ?
Non j’ai exactement 25 min en français, car traduire
tout un spectacle demande énormément de temps et de rodage.
Que
pensez-vous de l’évolution du monde artistique tunisien ?
Je ne pense pas qu’il y a eu une réelle évolution,
je ne vois pas encore qui peut prendre la relève après Raja Ben Ammar ou
Jeaͯbi. Je ne vois pas de nouveaux artistes sensationnels sur la scène
théatrale, cinématographique ou télévisuelle.
Vous pensez que ça peut évoluer ou au contraire régresser ?
Le problème justement c’est qu’il n’y a pas la
politique de l’artiste en Tunisie, le ministère de la culture n’est pas actif,
le gouvernement en entier ne donne pas beaucoup d’importance Í ce domaine, du
coup l’artiste doit tout faire tout seul. Pour l’instant c’est un métier encore
difficile Í réaliser dans notre pays.
Est-ce
que vous aussi avez constaté qu’il y a un ras le bol général par rapport aux
discours politiques ?
Oui c’est vrai, les gens en ont marre, mais il faut
justement savoir comment leur parler des choses qu’ils détestent, comment les
amener Í en rire et surtout Í réagir.
Vous
êtes comme ont dit chez nous « weld houma arbi » et vous connaissez
bien le tunisien, parlez nous du changement que vous avez constaté.
Les gens sont malheureux ! Ils sont lésés de
tous les cÍ´tés, financier et moral, en ajoutant Í ça l’insécurité totale
ressentie qui touche directement toutes les couches sociales.
C’était
mieux avant ?
La révolution s’est faite sur la base d’un changement meilleur, mais c’est gens lÍ ne sont même pas capables de garder le peu de bien qu’on avait.
Et je me dis que 2 ans c’est trop peu, il nous
faudra en gros 10 ans pour remarquer une réelle amélioration. Du coup nous
serons une génération sacrifiée et ceux qui suivront en profiteront.
Vous
pensez que la censure reviendra, du moins politique ?
Elle est revenue d’une certaine manière. Dans la rue les gens me disent de faire attention, d’éviter, de me protéger ; ma famille aussi a peur pour moi. Mais il faut s’armer de courage et ne pas céder Í la peur, car si moi je me tais, d’autres suivront…
Vos
projets pour l’été, vous serez sur les planches du festival de Carthage, ou Í
Hammamet ?
Carthage c’était un fantasme d’artiste, j’y ai joué
deux fois Í guichet fermé et on peut dire que j’ai réalisé mon fantasme, je
préférerai remonter sur la scène de Carthage avec une autre pièce, une nouvelle
production.
Concernant mes projets en été, rien n’est encore
sur.
Un
dernier mot pour nos fidèles lecteurs ?
Ce n’est pas mon dernier mot ! J’ai encore
beaucoup de choses Í dire…
Propos recueillis par Neͯla Azouz