
Fidèle Í lui-même, Taoufik Jebali présente chaque week-end dans son théatre el teatro sa nouvelle création Les au-delÍ , tiens !, une pièce concoctée avec ses élèves d’el teatro studio. Cette figure emblématique du théatre tunisien, qui s’est frayé un chemin atypique depuis sa série de Klem Ellil, s’est installée depuis dans une approche purement moderne et moderniste de l’art de la scène.
Après Manifesto Essourour qui a fait l’ouverture du festival international de Hammamet l’été dernier et qui a proposé une lecture originale de l’œuvre d’Ali Douagi, il récidive cette fois avec Les au-delÍ , tiens !, une pièce encore plus abstraite, voire hermétique.
Mais le théatre de Jebali a son public, qui y trouve toujours un écho : les amateurs du genre, ceux qui trouvent dans son discours volontairement déconstruit la résonnance d’une société disloquée, d’une non-communicabilité, d’une absence totale de logique et de cohérence dans notre quotidien, encore plus absurde que son théatre.
Il est inutile d’essayer de suivre une trame ou un récit, ce que Jebali nous propose est au-delÍ d’une logique facile et évidente, il fait appel Í l’intelligence du public, Í sa capacité de se libérer des images habituelles et familières, des blagues Í deux balles et d’une critique sociale au premier degré.
D’ailleurs, les références dans Les au-delÍ , tiens jonglent avec les sous-entendus, elles sont Í détecter dans le non-sens prémédité. Encore une fois, Jebali fait primer son approche esthétique sur la quête de sens. D’ailleurs, contrairement Í ce qu’on pourrait croire et Í ce qu’est suggéré par le titre de la pièce, les « au-delÍ » ne sont pas des forces occultes, des fantÍ´mes ou des djinns ; ce sont plutÍ´t l’autre qui est dans chacun de nous, avec qui nous avons du mal Í communiquer, qui existe et que nous refoulons, qui nous échappe parfois et que nous avons du mal Í maÍ®triser.
Cet autre est décidément la hantise de Jebali, la ligne conductrice de toute son œuvre. Une œuvre qui considère le théatre comme une activité spirituelle et intellectuelle qui n’a pas Í reproduire la réalité sur la scène mais qui a pour mission de transcender cette dernière au rang d’idées, de vision, d’un propos esthétique…
Dans Les au-delÍ , tiens !, il n’y a pas de personnages, il n’y a pas d’histoire, pas de début, pas de fin. Tous les éléments présents sur scène : décor, lumières, bande-son, comédiens sont des outils pour la mise en scène d’un propos visuel et émotionnel. Tout est mis en œuvre pour dérouter, ébranler les idées reçues, le prévisible, l’ordre, la logique usuelle.
C’est une pièce qui se veut affranchie de toutes ces règles qui, selon Jebali, ne font qu’emprisonner le théatre et l’art en général dans un discours ressemblant aux niaiseries télévisées.
C’est pour cela qu’il opte pour la déstructuration mentale et intellectuelle du récit reflet de déstructuration sociale. Et comme il le dit : « Faute de pouvoir raconter une histoire, je raconte des histoires. Je propose une dramaturgie nouvelle, o͹ l’écriture n’est plus linéaire. Il n’y a pas de fable dans le sens conventionnel. Et puis, cela veut dire quoi, raconter une histoire ? Selon quel modèle ? Celui du feuilleton égyptien ou du film américain ? Qui dit que ce modèle est le meilleur ? Qui est derrière? Le théatre doit aujourd’hui prévoir la disparition des modèles. Il doit dépasser la narration avec une unité logique du lieu et du temps. Le cinéma et la télé font mieux dans ce sens. »
VoilÍ en gros ce que nous inspire Les au-delÍ , tiens ! de Taoufik Jebali, qui a toujours le mérite d’être Í l’avant-garde du théatre tunisien, peut-être du théatre tout court. Ça plaÍ®t Í certains, bien sÍ»r, ça en déstabilise d’autres, ce n’est pas plus mal.
Avis aux amateurs !