
Nous avons reçu cet édito écrit par Bertrand Delanoë en personne, un édito qui en dit long concernant la vision de Monsieur le Maire de Paris sur la politique étrangère, ses sentiments par rapport aux changements qui se succèdent dans le monde arabe et sa détermination Í vouloir rester aux cÍ´tés des personnes qui souffrent et qui subissent la tyrannie des dirigeants arabes.
Ci-après l’édito tel qu’il a été écrit :
Pour que le printemps dure
7 juin 2011
Le « printemps arabe » a commencé au cœur de l’hiver. Au mois de janvier, avec une humble fierté, la Tunisie montrait au monde que rien – ni le poids des intimidations ni la fatalité des oppressions – ne résistait au désir de vivre d’un peuple. Depuis, d’autres se sont enhardis Í franchir la frontière qui sépare le présent de l’avenir, offrant le spectacle bouleversant de ces révolutions sans haine, sans embrigadement, avec la liberté pour seul guide et seul objectif. D’abord incrédule, parfois pusillanime, la communauté internationale a fini, en Libye, par prendre ses responsabilités – en tachant, autant que possible, de protéger les civils, et d’aider une population qui lutte contre son tyran.
Mais il y a d’autres printemps dans le monde. Et il ne faudrait pas que les regards se détournent plus longtemps du sursaut du peuple syrien, qu’un dictateur s’emploie Í étouffer dans le silence de l’abjection. Ce que nous refusons de laisser faire Í Misrata et Í Tripoli est en train de se produire, dans l’indifférence quasi générale, Í Deraa, Í Homs, Í Kamchli, Í Banyas. L’armée tire sur la foule. Les familles des opposants sont traquées, chez elles. Les prisons se remplissent, dans le plus grand arbitraire. Des enfants sont arrêtés. La torture (dont Amnesty International dit qu’en Syrie elle est « une routine ») n’a jamais été pratiquée Í un tel degré. Et malgré cela, avec un héroͯsme impressionnant, les Syriens de tous ages, de toutes conditions, de toutes origines, sortent dans les rues, au péril de leur vie, pour défier un régime qui ne survit que par la peur et le sang. Ce samedi encore, Í Hama, ils étaient près de cent mille, aux obsèques de jeunes opposants assassinés. Combien de temps la France et l’Europe continueront-elles Í regarder cet affrontement si effroyablement inégal entre la force qui n’a pour elle que la force, et la faiblesse qui pour elle a le droit et la justice ? Bachar El Assad doit partir. Nous devons aider le peuple syrien Í le faire partir : voilÍ la vérité, voilÍ la seule base sur laquelle construire dignement l’avenir.
Car le printemps des peuples ne doit pas s’arrêter lÍ , et il ne doit pas se heurter au mur de nos lachetés coalisées. En-dehors même du monde arabe, en Iran, l’opposition, Í laquelle un pouvoir aux abois a volé la victoire dans les urnes, continue de se battre, malgré tout, malgré le pire. La semaine dernière, la dissidente Ezzatolah Sahabi, sortie de la prison d’Evin pour assister aux obsèques de son père, est morte sous les coups de la police. Allons-nous nous taire, lÍ aussi ? Et jusqu’Í quand accepterons-nous l’inacceptable ?
Dans les couloirs feutrés des diplomaties, l’habitude se prend trop souvent pour l’expérience, et le court-termisme pour du réalisme. Mais le silence est complice, et la complicité n’a aucune excuse – pas même celle de la realpolitik, puisque nous le savons désormais : l’horizon de la realpolitik, ce sont Í présent les droits de l’Homme. La complaisance avec les dictatures se paiera cher, le jour o͹ les peuples en lutte pourront proclamer leur victoire. Nos valeurs et nos intérêts se confondent, sachons donc les faire triompher… Et n’abandonnons pas ces hommes, ces femmes et ces enfants qui, en surmontant l’angoisse, se battent chaque jour pour que le printemps, commencé cet hiver Í Tunis, dure, au-delÍ même du monde arabe, et au-delÍ de l’été.