
Les Í®les des Caraͯbes défilent sous le tube en métal Í l’intérieur duquel on est agglutiné, petites, grandes, longues, montagneuses, escarpées, vertes, auréolées de bandes blanches, volcans qui fument, nuages qui se bousculent.
La dernière Í®le Í l’est de la mer Caraͯbe est singulièrement plate. Aucun volcan ne la soutient et les nuages ne font que passer. La verdure est moins présente et laisse place Í des taches jaunes. Point de forêt dense, point de dédales floraux et une faune discrète.
Accueil assez original. Que des douanières en uniforme bleu vif et au sourire mesuré. La politesse est de mise et l’accent quelque peu British s’estompe Í mesure qu’on s’enfonce dans le pays pour se faire doubler par le bajan, dialecte o͹ les mots sont hachurés et les phrases saccadées et scandées. Le dialecte bajan est agréable Í écouter même si on ne comprend pas tout. Le hall d’entrée de l’aéroport de Bridgetown est semblable Í un gigantesque paravent tant la façade ne possède pas de mur. La chaleur humide est écrasante, mais cela ne fait que titiller l’être sudiste tapi en moi.
L’air salé finit par réveiller complètement l’être sudiste et marin en moi et j’emplis mes poumons de cet élément. Plages longues et étroites, un peu vides vu la saison, mais le beau temps est lÍ en tout temps et même la pluie quotidienne qui ne dure que quelques minutes ne réussit guère Í perturber une mer majestueuse. Couleurs criardes de robes caribéennes accrochées dans des stands pour touristes Í la sortie de la plage. Jeunes femmes caribéennes en minishorts moulants et quelques dames fonctionnaires en robes jaunes ou bleu vif attendent le bus.
A mesure que le soleil se couche, le rhum fait sa sortie sur les murets des plages, entouré de grosses bouteilles de soda et de musique dance-hall des voitures garées alentour. Les minishorts cèdent le pas aux robes très courtes épousant des silhouettes ondulées.
Un rastafari se lave les cheveux éternellement longs dans la mer sous le regard pieux des enfants qui jouent dans l’eau Í cÍ´té. Un mancenillier, arbre vénéneux, étend ses tentacules sur la plage, exhorte les passants de ne pas s'y installer en cas de pluie.
Sur les étals du marché central, quelques bananes plantains, avocats et goyaves importés des Í®les voisines attendent preneur. On me dit que les légumes et fruits sont ici un luxe que ne peuvent se payer que les riches propriétaires américains, canadiens et anglais des villas du front de mer.
Le reste, c’est-Í -dire 95% de la population, mange du poulet frit et ils sont bien servis par les grandes chaÍ®nes de fast-food américaines. Les enseignes des banques canadiennes, britanniques et américaines, elles, sont prêtes Í servir Monsieur 5%.
Un crane rasé, grosse boucle d’oreille de pirate, marcel blanc et tatouages, saute de la basse clÍ´ture d’une maison et court vers moi :
Hey! Yeh mon! How u doin’
Fine thanks and you?
You need somethin’ ? Weed, crack, coke, whot eva?
Oh! No thank you, I don’t smoke and I dont take drugs.
Oh! Rilly? Okey! You’re lookin’ fo’ geul’s? Tell me, an’ I bring you o’ you need. Two, three geu’ls?
Oh! No, no, I’m ok.
Rilly? So, wha’a you doin’ de’?
I’m just walking around, discovering the place by night.
Le marcel me fixe en fronçant les sourcils. Visiblement, il ne peut pas concevoir qu’un étranger puisse se balader seul le soir sans but précis. Il insiste encore, mais devant mon refus poli, il lui tourne le dos, exaspéré.
Après quelques jours de travail Í l’université West Indies, je glisse dans la peau d’un touriste discret. La vie des étudiants sur le campus de Cave Hill se passe en plein air. Les salles de révision ne sont que des bancs entourés de gazon et le cours le plus suivi est celui d’athlétisme. Des sprinters courent accrochés Í des miniparachutes qui les ralentissent et rendent leur effort plus intense. Les étudiants les plus studieux s’entassent dans la bibliothèque et s’affairent Í assimiler les gros livres de médecine. Les autres ricanent, mangent, jouent, se draguent et révisent un peu de temps Í autre. Je ne peux pas les blamer ; étudiant, je faisais comme eux.
Je m’aventure seul au centre-ville malgré les avertissements des collègues qui habitent l’Í®le depuis des années. Ils m’ont enjoint de prendre un taxi pour l’hÍ´tel et quand je leur ai dit que j’allais prendre le bus, ils ont écarquillé les yeux. Je fais signe au premier bus de s’arrêter, ne sachant pas dans quelle direction il va. Je monte et demande au chauffeur s’il va au centre-ville. Il acquiesce. Je prends place et très vite les yeux se détournent de moi, sauf ceux d’une vieille dame au visage de bronze parfaitement ridé et au regard perçant. Elle me dit de prendre une autre connexion pour pouvoir me rendre dans la zone des hÍ´tels sans passer par le centre-ville, puis s’adresse au chauffeur en bajan. Après quelques minutes, elle se lève et me demande de la suivre.
Grande distillerie de rhum qui a pignon sur mer. C’est probablement l’usine qui a la meilleure vue du monde. L’odeur du rhum est persistante, envahissante, étourdissante. Presser le pas est la seule issue pour éviter un coma éthylique. Quelques accoutumés, Í moitié pompettes rien que par l’odeur gratuite que diffusent les cheminées, se prélassent entre la clÍ´ture de l’usine et la plage. Le chauffeur de taxi m’avait déjÍ expliqué que la canne Í sucre est tout ce qui pousse sur l’Í®le et comme industrie, c’est sa transformation en rhum qui prévaut. J’ai appris plus tard que c’était lÍ la plus vieille distillerie de rhum au monde. Une pluie torrentielle s’abat et dure cette fois plus d’une demi-heure. Et bien que le ciel se soit ouvert comme une mer qui se déverse d’en haut, je continue ma marche trempé jusqu’aux os. A peine cette manne diluvienne terminée, le beau temps reprend le dessus et les plages se repeuplent. Un chant de gospel me parvient de loin. Je suis la source et je vois une église en plein air o͹ des gens chantent et applaudissent avec ferveur sous un chapiteau peint en vert. Les hommes portent des chemises en satin aux couleurs vives et les femmes de grandes robes colorées. Le chant a vite disparu dès que j’ai immergé la tête dans l’eau.