Récit d’une voyageuse : Essaouira, ville de tous les enchantements

Ville dont la naissance est nourrie de légendes, elle, est pour ses premiers habitants berbères, Amagdul, “la bien gardée”. On y trouve des v

Récit d’une voyageuse : Essaouira, ville de tous les enchantements

Une longue histoire pour commencer ...
Ville dont la naissance est nourrie de légendes, elle, est pour ses premiers habitants berbères, Amagdul, “la bien gardée”. On y trouve des vestiges grecs, phéniciens et carthaginois datant du VIème siècle avant JC. Les romains y créent, au Ier siècle avant JC,  un comptoir pour l'exploitation du pourpre, d'o͹ le nom d'Í®les purpurales donné aux deux Í®lots, situés Í  quelques brasses de la cÍ´te et qui, outre une mosquée et un cimetière, ont longtemps abrité une prison.

Sur le chemin de leurs conquêtes africaines, les Portugais y édifient le fort Castello Real en 1506 et la baptisent Mogdura, du nom du saint local Sidi Magdoul. C'est avec les Français qu'elle prend, plus tard, son nom de Mogador.

Simple bourgade, elle va connaÍ®tre, Í  partir de 1765, un nouvel essor par la volonté du Sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah qui, confronté Í  la fronde des tribus berbères de la région, décide d'y construire un port afin de développer le commerce. Ayant dans ses geoles un certain Théodore Cornut, architecte de profession, le sultan lui confie le projet en échange de sa liberté. Cornut dessine la cité selon un plan régulier, avec un tracé orthogonal des rues, des perspectives ponctuées de portes en enfilades. Décidé Í  donner une forte impulsion économique Í  la ville, le sultan  y a crée un mellah o͹ il installe les meilleurs artisans et commerçants juifs de Marrakech.

Créée ex-nihilo, Essaouira, "la bien dessinée" donc, présente la singularité d'une médina arabe avec un style de ville européenne. Palais, mosquées, églises, synagogues, représentations consulaires étrangères, maisons Í  étage, souks, marchés se déploient Í  l'intérieur de remparts crénelés, desservis par un réseau de  ruelles qui débouchent sur le front de mer hérissé de canons.

D’un climat délicieusement tempéré par les alyzées, dont le Taros, auquel on prête des vertus euphorisantes,  Essaouira jouit d'une réputation de ville ouverte, Í  la fois sur l'océan, mais aussi, sur le monde; une ville multiconfessionnelle, cosmopolite, Í  la population tolérante et pacifique. Autre trait qui la rend encore plus attachante, le nombre d’artistes qu’elle enfante!
La Médina d'Essaouira a été classée au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2001


Une ville et son festival: un mariage parfait!

Elle figure en bonne place sur les circuits touristiques marocains comme une étape incontournable de découverte de ce vaste et beau pays.
Mais Essaouira, c'est bien autre chose aussi: un monde unique de sensations, d'émotions, de spiritualité, de rencontres et de pur plaisir, par la seule grace de la musique.

Telle une belle alanguie au bord de l'océan, elle a longtemps vécu Í  régime réduit, comme en état de veille. A la fin des années soixante, cependant, et dans le sillage du mouvement hippie, quelques rock stars la repèrent et y font halte. On évoque encore les passages de Jimi Hendrix, des Rolling Stones, puis ceux du jazzman newyorkais Randy Weston et de Santana qui découvrent la richesse de la musique gnaoua, s'y initient et s'en inspirent.

C'est en 1997 qu'est donné le top départ du Festival Gnaoua Musique du Monde. L'idée lumineuse en revient Í  André Azoulay, Conseiller du Roi. Le but:donner un coup de fouet Í  la région en valorisant un trésor national: le patrimoine des gnawas, ces descendants d'esclaves africains qui ont jalousement conservé leur culture, expression vivante de leur liberté et de leur mémoire. Authentique, profondément enraciné dans les terroirs, ce patrimoine s’est, au fil du temps, enrichi et métissé au contact des tribus berbères des Atlas et des confréries religieuses du Souss, telles les Aissaouias.

Depuis le lancement de cette manifestation, unique en son genre, Essaouira bénéficie d’un rayonnement international indéniable, celui d’une destination prisée par l’immense tribu des amateurs de musiques du monde. On y accourt de partout, de toutes les villes du royaume, bien sÍ»r, mais  aussi de l’étranger. Ils sont près de 400 000 spectateurs Í  chaque édition, des pélerins particuliers qu’on reconnaÍ®t, dans les aéroports, les gares routières, Í  leur allure décontractée, Í  la quête du plaisir qui fait briller leur regard.

La fête, partout, pour tous

Ce qui est extraordinaire, c’est que c’est véritablement la ville entière, toute la ville, dédiée Í  la musique, qui est en fête et qui inspire la fête. À chaque coin de rue de la médina, sur la scala, au port, sur les places publiques, des petits groupes de jeunes se forment pour faire de la musique, chanter et danser, sans être dérangés ni sembler déranger quiconque. Cette ambiance festive, convivale, communicative Í  souhait fait la qualité rare, la marque de Essaouira.
Confiée Í  une agence privée, l’organisation du festival obéit Í  des critères de grand professionnalisme tant sur le plan artistique, technique, que celui de la communication. Une communication, relayée, de manière intelligente et attractive, par une presse locale de grande qualité, comme en témoigne l’excellent supplément du magazine Tel Quel.
Des scènes gigantesques sont dressées Í  travers la ville, sur la plage et les grandes places pour accueillir, dès la tombée de la nuit et pour plusieurs heures, les concerts publics, gratuits; délimité par des barrières, un espace, devant la scène, avec places payantes étant aussi réservé aux VIP et sponsors.
Les principales zaouias de la ville sont investies, après minuit, par des concerts intimistes, payants, donnés par des grandes stars et des groupes confirmés, pour un public d’initiés. Ce sont les lilas, dédiées aux cérémonies rituelles mystiques.

Un seul mot d’ordre:  la fusion

Audacieux, d’une richesse et d’une diversité Í  satisfaire les plus exigents tout en restant fidèle Í  ses engagements initiaux, le programme, irresistible invitation au voyage, a pour ligne artistique fondamentale la fusion: fusion des sons, des styles, des rythmes, des mélodies, En effet, et depuis sa création, le festival a pour maÍ®tre mot la rencontre, le dialogue fécond des musiques, des cultures et des hommes.

Chaque soir, des têtes d’affiches internationales se joignent, sur scène, Í  des maÍ®tres traditionnels du guembri, les maalems gnaouas, en des expériences artistiques uniques pour le plus grand bonheur d’un public averti. C’est ainsi que jazz, regggae, qawwal pakistanais, musique arabo andalouse, rythmes brésiliens, soul, house, électro et pop s’embarquent sur les chemins buissonniers menant Í  des rencontres inattendues, voires improbables, avec les danses, les chants, l’énergie syncopée des gnaouas qu’embrase le rythme lancinant des qraqebs.

Un public en or!

Le public? Incroyable! Pour chaque concert, de 7 000 Í  10 000 personnes formant une masse compacte, bigarrée, toutes générations, classes sociales, cultures, couleurs, origines confondues; une mer humaine parcourue par l’énergie de la musique, avec, comme un leitmotiv, le tintement de cloche du guerbagi, le marchand d’eau traditionnel au constume chamarré.

Des heures de concert en plein air, sans incident notoire, sans attitude agressive ni propos grossiers, sans présence visible des forces de l’ordre. Des groupes assis Í  même le sol, au milieu de la foule, qui les contourne. Par endroits, des hommes semblent décoller sur les ailes de la musique, des femmes lachent leur chevelure et entrent en transes, on s’écarte pour leur faire de la place, on les soutient jusqu’Í  l’effondrement, et il y toujours quelqu’un pour les asperger d’eau, le temps qu’elles retrouvent leurs esprits.

O ma mère! Quel public! Tous les looks sont lÍ ! Un vrai spectacle! Des routards style hippie, tatoués, chevelus, des surfeurs, des touristes aisés BCBG, des africains en costumes chatoyants, venus en voisins, des familles avec enfants en landeau,  des femmes et des hommes en jellaba traditionnelle, des paysans du coin, des grappes de jeunes filles en foulard islamique ou en jeans, des jeunes gens en dreadlocks, des handicapés en fauteuils roulants, des gosses du quartier, des étudiants débarqués d’autres villes, des amoureux main dans la main... Tout ce beau monde vibre et danse dans une célébration libre, joyeuse, intense et pacifique de la musique.
Connaissant par coeur le répertoire, les gens du pays reprennent en choeur les chants sacrés et profanes des gnaouas. Saisi par un sentiment d’enchantement, on se dit que Dieu doit se sentir heureux, qu’il doit vraiment être au paradis Í  s’entendre célébrer avec tant de ferveur sous le ciel étoilé o͹ trÍ´ne la pleine lune!

Décidémment Í  nul autre pareil, ce festival se veut aussi un tremplin aux jeunes artistes, aux groupes émergents du pays en consacrant une scène aux musiques urbaines. Cela se passe sur la plage, entre minuit et trois heures du matin pour des soirées litteralement chauffées Í  blanc. Un public essentiellement jeune, issu des quartiers périphériques de toutes les villes s’éclate Í  l’unisson de concerts, gratuits, de rock, chaabi, rap, reggae, funk, chants traditionnels, hip hop. La programmation 2010 a également offert un set Í  l’avant garde de la musique électro avec une sélection des meilleurs DJ du pays qui s’adonnent, eux aussi, et sans retenue aucune,  au jeu excitant de la fusion avec le répertoire gnaoua.


Véritable maoussem comme seul le Maroc en a le secret, ce festival au service de la dimension spirituelle et ludique de la musique,  se voue Í  la diffusion de cette richesse patrimoniale Í  travers plusieurs manifestations: résidences d’artistes, ateliers, spectacles de fantasia, parades, concerts itinérants, hadhras, et pour les amateurs de débats, l’arbre Í  palabre,un forum quotidien de dialogue entre professionnels et public sur des thèmes liés Í  la culture.


Le festival, et après?

Ce qu’il faut savoir, et certainement méditer: il ne s’agit pas d’un évènement ponctuel, destiné seulement Í  distraire la population ou Í  animer la ville pendant la saison touristique.
Certes, l’économie locale en tire des profits évidents. Maisons de location, campings, hÍ´tels, restaurants, cafés, boites de nuit, gargottes affichent complet. Les services, les commerces, et, par conséquent, l’emploi bénéficient directement de ses retombées. Et cette dynamisation de l’activité économique liée au tourisme s’étend bien au-delÍ  du festival, nombre de visiteurs, séduits par la ville, y prolongent leur séjour et y reviennent souvent.
Mais la portée du festival est autre, inscrite dans une vision Í  long terme.
Sous l’impulsion d’une association née Í  la faveur du festival, plusieurs actions complémentaires visent Í  promouvoir le patrimoine culturel des gnaouas: en le faissant connaÍ®tre par le biais de tournées Í  travers le monde, en favorisant les collaborations avec les artistes étrangers, en incitant Í  la publication d’albums. Par ailleurs, des universitaires sont déjÍ  sur le terrain pour explorer, collecter, transcrire, harmoniser, traduire et publier le répertoire musical des gnaouas dans le but de préserver la culture d’une société traditionnelle riche de ses chants et danses, sa langue, ses costumes, ses coutumes, son habitat, ses rituels, ses valeurs.
L’association s’active aussi, auprès du ministère de la culture, afin que les maalems traditionnels bénéficient d’un statut d’artiste reconnu, par l’octroi d’une carte professionnelle. Comme autre acquis social en leur faveur, récemment obtenu: l’adhésion Í  une mutuelle leur permettant de bénéficier d’une assurance.

Alors, et très honnêtement, on ne peut qu’applaudir! Avec, toutefois, une petite remarque, en passant: A considérer tout cela, c’est sans honte qu’on avoue ressentir une pointe de jalousie!



HZ